Le départ.

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Passé cette étape, la situation changea du tout au tout. Avec le renforcement des points de contrôle en direction de l’est, on devenait plus tatillon, laissant la priorité aux convois militaires : la proximité de Mourmelon n’y était pas étrangère. On se rapprochait de la zone des combats et çà et là, en bordure de route, on voyait des impacts d’obus rebouchés à la hâte, des maisons au toit effondré, et quelques anciens s’affairant à la reconstruction. La France meurtrie déjà renaissait…
    À compter de ce moment, ils croisèrent une noria quasi ininterrompue d’ambulances sanitaires qui assuraient le transport des blessés ; plus loin, toute une population en exode, de pauvres gens à qui la guerre avait tout pris, une horde de civils souvent suivis de chiens, poussant tant bien que mal des charretons débordant de leurs maigres affaires, des vieillards et toute une marmaille abandonnée, guidés par une religieuse qui avait réuni sous sa tutelle un troupeau d’éclopés et d’épaves humaines happés par l’infernale tourmente. Comment rester insensible à ces yeux où ne brillait nul espoir, à cet anéantissement, à ces êtres qui marchaient comme des somnambules vers un impossible destin ?
    Sur ces routes obstruées d’interminables convois, ils suivaient aussi des soldats résignés qui se rendaient au feu ou croisaient des rescapés du front, le regard vide et la tête basse, exténués par des semaines de combats et la perte de leurs camarades. À mesure qu’ils se rapprochaient du lieu des hostilités, la cohorte s’étirait sur des kilomètres et par obligation, ils en épousaient la progression ; après les fantassins venaient les artilleurs, les mineurs, les sapeurs, les voitures de ravitaillement, les chevaux tractant les 75, et tout à la fin, les brancardiers qui escortaient d’autres ambulances…
    Les postes de territoriaux et les demandes de sauf-conduit se resserraient. Le matin suivant, Xavier fut obligé d’abandonner l’automobile et de se mettre à couvert, car certains parcours, repérés par l’ennemi, risquaient d’être ciblés par le feu de l’aviation. Les ordres étaient formels. Le véhicule et son chauffeur, bloqués sur la place d’un village, ne le rejoignirent qu’à la nuit tombée. En plus de manifestations imprévisibles, les aléas révélaient des obligations de ravitaillement qui, dans cette conjoncture, prenaient parfois des proportions inattendues, engendrant un retard impromptu par manque d‘outillage : un pneu crevé, une pièce à changer dans le moteur, on pense rarement à tout ! Une accumulation d’incidents qui peu ou prou faisaient obstacle à leur avancée. Quoi qu’il en soit, la cité des ducs de Bar fut leur ultime étape. Encore quelques heures et avec un peu de chance…

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