L'enquête.

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— Je suis venu à vous… Je tiens à vous assurer de ma loyauté. Il ne m’appartient pas de juger du comportement des uns ou des autres. J’ai trop vécu la misère et le désespoir dans les tranchées pour me permettre de m’ériger en moraliste.
— C’est tout à votre honneur. Je suppose que vous avez une foule de questions à me poser, et que ces questions concernent ma fille…
— Je ne vous le cache pas. Voyez-vous, après sa visite, je suis resté troublé…
— Elle est venue vous voir ? C’était donc ça, la cause de son absence… Elle ne m’a rien dit, la chipie !
— Elle s’est rendue à mon domicile en toute discrétion, une discrétion telle que personne ne l’a entendue arriver et encore moins repartir !
— Oh, mon Dieu ! Je suis confuse. Ma fille n’a pas pu faire une chose pareille ! J’ai essayé avec le soutien de votre père de lui apporter la meilleure éducation qui soit. Pensez, elle a suivi ses études chez les sœurs, à Notre-Dame de la Charité ! Mais alors, comment l’avez-vous rencontrée ?
    Xavier conta par le menu les étranges circonstances de l’irruption de Virginie dans sa vie, puis ses présomptions pour parvenir à une quasi-certitude, du reste corroborée par les déclarations du notaire.
— Comment, avec si peu d’éléments, avez-vous réussi à vous sortir d’un tel fatras ?
— Mon esprit était ailleurs. Je l’ai rappelé à l’ordre !
— Durant toutes ces années, j’ai caché la vérité à Virginie. Elle m’a souvent questionnée : quand elle était petite, elle ne comprenait pas pourquoi elle n’était pas comme les autres, pour quelle raison elle n’avait pas de papa. Puis avec le temps, les questions se sont faites plus insidieuses. Elle avait réalisé en grandissant que quelqu’un m’aidait, que seule, je n’aurais jamais pu subvenir à tant d’obligations financières. Elle a tenté de m’espionner. Chaque fois, j’ai esquivé les pièges. Il faut que vous preniez conscience de sa détresse ; un être de chair et de sang qui a grandi avec sa sensibilité, avec ses interrogations sur sa naissance, avec son côté romantique, aussi. Combien de fois m’a-t-elle répété ses rêves de petite fille : « Je sais que mon papa existe, je sais qu’il nous protège et qu’il est riche. Qu’un jour, il viendra nous rejoindre… »
  Tout en s’exprimant de la sorte, ses yeux s’étaient embués. Bientôt, deux larmes roulèrent sur ses joues qu’elle tamponna délicatement d’un mouchoir en dentelle. Subjugué par cette force morale, Xavier prenait la mesure de ce qu’avait été cet horizon borné par le travail et l’abnégation, entièrement dévolu au bien-être et à l’éducation de son enfant. Pris d’un brusque attendrissement, lui-même perdait quelque peu sa contenance.


© Jacques Goudeaux

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