Le président.

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[…] Malgré cette morne vie de retraité, une ferveur particulière régulièrement le transfigurait au point d’en perdre sa dignité naturelle : sa passion de la pêche. À l’écouter, il n’était pas l’un de ces amateurs du dimanche, mais un professionnel qui ne laissait nulle place au hasard. Pensez donc ! Aller jusqu’à étudier le cycle lunaire pour déterminer le moment opportun à la capture providentielle. Certes, le résultat ne semblait pas toujours à la hauteur des espérances, mais diable ! Allez comprendre ! Il fallait bien une raison : trop de vent, trop de soleil ou de pluie, des prévisions météorologiques erronées, l’interaction entre ces différents phénomènes... Pas facile, en effet, de jauger tous ces paramètres ! Pas dupes pour un sou, ses collègues le traitaient avec condescendance même s’ils riaient sous cape ; c’est cette même condescendance qui les conduisit à l’élire président de la société de pêche — poste dont personne, du reste, ne voulait. Rien ne pouvait lui procurer tant de satisfaction que cette responsabilité, véritable aboutissement de sa carrière de pêcheur dont il promit de s’acquitter avec une probité sans faille, conscient qu’il était de l’importance de sa fonction.
    Qu’il ait fait preuve de dévouement et d’un sens aigu du devoir, nul ne le conteste ! Seulement, entre l’esprit et la règle puis la règle et l’usage, il fallait trouver un juste milieu ! Concilier velléités et aspirations était une tâche ardue à laquelle il s’attela, non sans froisser quelques susceptibilités, son tempérament naturel l’amenant à prendre de graves décisions avec l’accord d’une majorité silencieuse plus encline à avoir la paix qu’à se réunir pour choisir la date de la prochaine réunion… Parmi ces décisions, il en fut une qui défraya la chronique : celle d’acheter une vieille baraque de chantier en tôle, rouillée, cabossée, qu’il fit installer près du ruisseau, à côté de la route. Ce magnifique pied-à-terre devait servir de buvette occasionnelle, c’est-à-dire une fois l’an pour le traditionnel concours de pêche. Comme il lui revint quand même quelques échos critiquant le bien-fondé d’un tel ornement, il fit voter par le comité l’achat de pots de peinture vert pomme afin que l’objet passât un peu plus inaperçu, ce qui fut évidemment une réussite…
[…]


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