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La clarté déclinait. L’atmosphère s’était rafraîchie : le temps
tournait à l’orage. De lourds nuages noirs s’accumulaient derrière les
cimes et parfois un ronflement continu roulait en s’amplifiant à
travers la formidable caisse de résonance que constituent les vallons.
Main dans la main, Guillaume et Charlotte, appuyés à la rambarde,
observaient en silence le vol désordonné des hirondelles et des
martinets qui frôlaient l’eau du bout de l’aile. Tout à leur idylle
naissante, ils avaient relégué au second plan l’énigme de la sphère.
Un violent coup de vent secoua les feuillages. Le
coup de tonnerre qui suivit les contraignit à s’extirper en toute hâte
de cette torpeur bienfaisante. Déjà, de pesantes gouttes, encore
éparses, s’étoilaient en heurtant le sol : il était préférable de
ne pas s’éterniser.
La pluie commençait à tomber dru quand ils
parvinrent à l’hôtel. La pénombre envahissait les rues et le ciel
s’embrasait sous la fulgurance des éclairs qui baignaient
sporadiquement les habitations d’un irréel flamboiement. Entrecoupé par
les déflagrations successives, le crépitement de l’eau répondait au
bruit de gorge des gouttières qui refluaient leur trop-plein sous
l’intensité de l’averse. À travers la buée de la véranda, les deux amis
contemplaient sans mot dire le déchaînement des éléments avec cet
étonnement toujours renouvelé des simples mortels devant la fureur des
cieux. L’intensité des lampes vacillait par instants, et l’espace d’une
seconde, on pouvait craindre une panne générale. Il n’en fut rien.
C’est en se retournant par hasard que Guillaume aperçut à l’entrée de
la salle à manger le père de Charlotte qui les observait d’un œil aigu,
presque inquisiteur. Il en informa discrètement sa compagne qui marqua
un temps d’arrêt avant de se décider à aller le voir.
Au déluge avait succédé une pluie fine :
l’orage passait son chemin. Et alors que les caniveaux continuaient à
charrier leur torrent de détritus, elle s’arrêta net ; rien plus
qu’un glouglou inégal qui s’amenuisait au fur et à mesure que l’eau
finissait de s’évacuer dans les conduites. Cela faisait presque un
quart d’heure que Charlotte était en palabres, et à vrai dire, le jeune
homme commençait à trouver le temps long ! Par moments, il
glissait subrepticement un regard vers elle et la surprenait
s’exprimant avec force gestes, ce qui semblait indiquer un désaccord.
Il souhaita d’abord ne pas en être la cause, puis se ravisa ; rien
de tel, après tout, pour se forger une opinion sur la force de
caractère de sa nouvelle compagne ! Elle réapparut enfin, tout
sourire, et sans que la moindre trace de colère n’apparût sur son
visage.
— Je suppose que c’est ce que l’on appelle le flegme
britannique, dit Guillaume un peu décontenancé. J’avais l’impression
que l’orage n’était pas qu’à l’extérieur. Me serais-je trompé ?
— Oui… et non. J’ai souvent eu des relations
conflictuelles avec mon père, mais comme je ne lâche jamais le morceau
et que je suis sa fille unique, il finit toujours par faire machine
arrière.
[…]