La vallée des ancêtres.

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Extrait 4

[…] Pourtant, quelque chose de plus fort, de plus puissant le guide et l’inspire au-delà de tous les obstacles : son orgueil qu’il brandit comme une arme, et Nebra, le disque de lumière, dont il est devenu le maître. Tandis qu’il orchestrait les voix célestes, il lui a suffi d’ordonner pour que la montagne s’illumine et ça, il ne peut l’oublier. Durant son cheminement, un pernicieux soupçon vient toutefois troubler cette apparente sérénité. Si tout cela n’avait été qu’un rêve ? S’il avait peuplé son esprit de ses désirs ou de ses chimères ? Il tente de rassembler les souvenirs de son expédition, de les dissocier, de les combiner à nouveau. Non,  mille fois non, impossible ! Il réalise alors qu’il est ici pour trouver une réponse appropriée à ses interrogations, et que ce n’est pas le hasard qui a guidé ses pas. Il se redresse, à nouveau animé de cette foi qui lui impulse l’élan.
     Le soleil incline son orbe et les mélèzes déplumés, çà et là dispersés sur ce côté de l’adret, étirent inégalement leurs ombres à travers les pierres. Maintenant à contre-jour, le dôme noirâtre du Gebo se perd dans la brume.
    Patiemment, avec cette insoucieuse assurance des bêtes, le chien suit paisiblement son maître ou le précède de quelques longueurs. Or le voilà qui vient de s’arrêter, la truffe en l’air, les oreilles dressées. Gaoh lui aussi s’est figé. Un lointain bruit de voix lui parvient alors par intermittence, inaudible et pourtant distinct, au gré des courants tièdes et qui paraît provenir de la vallée.
    « Vite, Ouba, vite ! » murmure-t-il en un souffle, terrorisé à l’idée que l’animal par d’impromptus jappements puisse révéler leur présence. Heureusement, ce dernier a tacitement compris l’injonction et vient se frotter à ses jambes. L’endroit se prête mal à un camouflage : le garçon s’empresse de quitter l’infime trace qui court dans la rocaille et s’aplatit au-dessus, derrière un buisson, cramponnant ferme son chien afin de lui interdire toute manifestation intempestive.
    Il mesure le temps qui passe à la respiration saccadée de l’animal. Serait-ce une fausse alerte ? Non. Bientôt, deux hommes surgissent en contrebas, d’un pli du relief. Semblablement accoutrés d’une façon bizarre, ils se distinguent en tout des habitants du village : plus grands, munis d’un épieu à l’extrémité fortement acérée, avec en outre à leur ceinture un long poignard aux éclats dorés, à s’y méprendre, on les croirait jumeaux. Ces deux-là n’ont pas particulièrement l’air de s’inquiéter d’une présence étrangère en leur domaine. Gaoh se tasse un peu plus, tout en continuant à les observer au travers des branches. Alors qu’ils sont aux trois quarts passés et qu’il se croit tiré d’affaire, mû par on ne sait quel instinct, l’un d’eux se retourne brusquement. Le garçon s’écrase un peu plus, le cœur battant à tout rompre. L’homme a-t-il perçu quelque frémissement insolite à la surface des broussailles ? Toujours est-il qu’il demeure planté, la tête en direction des fugitifs.
    Le temps s’est figé. Gaoh a suspendu sa respiration. L’attente est devenue insoutenable ; à peine s’il ose un regard. À quelques pas, un tremblement dans les buissons : un oiseau, sans doute, ou quelque animal apeuré. L’homme semble hésiter : un appel de son compagnon et il reprend sa marche. Puis la discussion recommence et le bruit des voix finit par se dissoudre dans le vent. Plus que le bruissement de l’air dans les herbes…
[…]

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