Mémoires de ma grand-mère.
(introduction)

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Je joins ici les mémoires de ma grand-mère, Marie Chaussier née Champarnaud, qui lorsque j’étais enfant, particulièrement durant les vacances, a bercé mes soirées d’une multitude d’histoires que, pour la plupart, elle inventait en temps réel, au fur et à mesure de son humeur.
Grande lectrice par-devant l’Éternel, elle m’offrait alors un florilège de récits qui nourrissaient mon imagination et l’enchantaient au point que je me sentais démuni dès lors que les circonstances contrecarraient ce rituel. Il s’agissait toujours d’aventures extraordinaires, d’histoires de corsaires, de chevaliers, de conquête de l’Ouest, de tour du Monde — que sais-je ? — avec moult rebondissements où se rejoignaient ses lectures enfantines de la Veillée des Chaumières à celles plus récentes des romans d’Exbrayat ou des exploits d’Hubert Bonisseur de la Bath, agrémentés de scénarios de films, avec invariablement une relation amoureuse et toujours tumultueuse entre un héros sans peur et sans reproche et une pauvrette abandonnée à un triste sort… Et comme dans la plupart des contes d’enfant, une conclusion en apothéose avec mariage et plein d’enfants à la clé !
Rien que très commun, somme toute. De la tarte à la crème, me direz-vous ? À moins que vous ne préfériez l’eau de rose ! Et alors ? Quelle importance ! La féerie des oiseaux de passage n’est pas pour vous…
L’intellectualisme ne nous transporte jamais : on se contemple en train de vivre, pareil à un entomologiste qui observerait un insecte, en disséquant chacune de ses actions pour les analyser a posteriori. De fait, on passe à côté de soi-même en se persuadant qu’on ne peut qu’exister de la sorte.
Bref. Sur quoi, je m’endormais, enfin rassasié, la tête bouillonnante encore de folles images et parfois, il m’arrivait de revivre en rêve des scènes projetées dans mon imaginaire et que ma mémoire avait figées, puis de les agrémenter à l’aune de ma personnalité.
En grandissant, mon esprit s’aiguisait au fil de mes lectures, et tandis que ma grand-mère vieillissait, par la force des choses, ses récits s’espaçaient. Quelque invraisemblables eussent-elles été par principe, il m’arrivait fréquemment de la reprendre sur la pertinence de certaines situations, ou sur les contradictions qui en découlaient ou se faisaient jour au sein des narrations. « Mais mamie, tu avais pourtant dit que… » Une pirouette verbale et elle retombait sur ses pieds. Et pour autant, j’aimais à me satisfaire de ses affirmations lacunaires.
Puis l’adolescence est arrivée : finies les histoires romanesques ! La mamie se cantonnait alors à ses souvenirs qu’elle contait toujours avec maestria, car ils se suffisaient à eux-mêmes et participaient de son vécu.
Pour moi, la soif de fictions demeurait inextinguible. Plus prosaïquement, entre les lectures imposées du lycée, je me réconfortai grâce aux romans de Maurice Leblanc, de Gaston Leroux, de Paul Féval ou autre Ponson du Terrail… À la faveur de ces soirées d’enfant, la graine avait germé, et désormais, rien ne pourrait arrêter sa croissance, même si les modalités d’expression demeuraient diffuses.
Sur mon insistance, après la disparition de mon grand-père en 1980 et dans une période d’abattement où elle avait grand besoin de se reconstruire, un peu comme une thérapie, elle avait continué à coucher sur papier, dans des cahiers d’écolier, une seconde partie de ses souvenirs commencés en 1975.
À présent que je suis parvenu à l’âge qu’elle avait alors, lorsque j’étais enfant, je me dis qu’il est bon de renouer avec le passé pour y puiser sinon une forme de sagesse, tout au moins une considération à l’égard de ce qu’elle fut et de tous les anonymes qui refleurissent à travers ses récits…


Marie Chaussier à Sèchepierre en mars 1974



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