Selon que vous serez puissant ou misérable

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Extrait 2

[…] En soi, le lieu n’avait rien d’exceptionnel sinon par les faits qui s’y étaient déroulés. Après plus de deux semaines, il ne restait évidemment aucun indice ; dans un large rayon, toutes les fougères étaient aplaties, preuve d’une fouille méthodique des alentours. Çà et là des traces fraîches, des feuilles retournées, vraisemblables témoignages d’une curiosité morbide des habitants du coin. Fabien se tint un moment taciturne. Il finit par lâcher comme s’il s’adressait à lui même :
    — C’est donc à côté de cet arbre.
    — À cet endroit précis. Un périmètre avait été défini durant les premières investigations, mais aucun indice probant n’a été trouvé. La perspective est différente de l’idée qu’on peut s’en faire sur les clichés.
    — Et d’après ce qu’il ressort de l’enquête, le corps n’a pas été touché, pas non plus déplacé.
    — Pas de traînée sur le sol. Pour le reste, difficile à dire. À ma connaissance, l’agresseur n’a rien pris : le portefeuille était intact.
    — Le portefeuille… Curieux.
    — Je ne comprends pas.
    — Moi non plus. Sinon que lorsqu’il m’arrive d’aller faire un tour dans les bois, harnaché en conséquence et qui plus est à côté de mon domicile, il ne me vient pas nécessairement à l’esprit de prendre mon portefeuille…
    — Et encore moins un club de golf, je suppose !
    Le jeune homme s’approcha de l’arbre en hochant la tête. Le vénérable chêne gardait intacte sa ramure d’été. Dans l’épaisseur du feuillage, un oiseau donnait de la voix, mécontent sans doute qu’un inconnu à deux pattes vînt le déranger. Un froissement d’ailes et plus rien. Le regard levé, dans l’expectative, Fabien poursuivait ses réflexions.
    — Et la demoiselle, quand elle a rejoint son père, de quelle direction venait-elle ?
    — Elle arrivait de la lisière de pins qu’on voit là-bas.
    — Donc une minute ou deux, sans se presser.
    — D’après ce qu’elle a déclaré, sous l’effet de la surprise, elle s’est mise à hurler puis elle est partie en courant vers la maison pour donner l’alerte. Les gendarmes ont mis moins d’une demi-heure pour arriver sur les lieux. Ils ont établi les premières constatations. Étant donné la nature du crime et la qualité de la victime, c’est la police qui a pris le relais.
    — Ouais. Une remarque, tout de même. « Selon que vous serez puissant ou misérable… » comme écrivait la Fontaine. C’est un peu ça, non ? Quand on est un haut magistrat… Croyez-vous qu’on ait remué ciel et terre s’il s’agissait d’un simple ouvrier d’usine ? Que l’enquête n’aurait pas été classée sans autre forme de procès ?

[…]

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