[…]
Pour
cinglante qu’elle fût, la réponse n’en était pas moins
sujette à
caution. Fabien serra les poings. Néanmoins, il ne se laissa
pas
démonter et après un instant de silence :
— Le croyez-vous vraiment ?
Croyez-vous qu’il
suffise de déclamer haut et fort ces vérités qu’on vous a
gentiment
inculquées pour que vous en soyez le seul détenteur ?
Ces vérités
qui vous font voir la paille dans l’œil du voisin sans
distinguer la
poutre qui est dans le vôtre !
— Donc, d’après vous, je n’aurais pas de
libre
arbitre ? Ce qui équivaudrait à une forme de
manipulation ?
— Nous ne sommes que le résultat de
rencontres
hasardeuses, ballottés entre l’opinion des uns et celle des
autres,
jusqu’à se forger son propre jugement en fonction de ses
propres
expériences ; mais une chose est sûre, en la
matière : la
vérité n’existe pas. Pas plus la vôtre que la mienne,
d’ailleurs. La
différence, c’est que moi, je le sais. Pas vous,
apparemment.
À son tour, son interlocuteur marqua le
pas. Fabien
ne lui laissa pas le temps de se ressaisir, et d’un ton
enjoué, mais
cassant, enfonça le clou.
— Du reste, si les régimes dont vous
faites
l’apologie avaient été aussi admirables que vous le
prétendez,
« au paradis sur terre, on y serait déjà », comme
disait le
poète. À preuve du contraire, je ne pense pas que ce soit le
cas. C’est
même exactement l’opposé. Si j’avais un conseil à vous
donner, je vous
dirais simplement : « Apprenez à penser par
vous-même. »
Depuis quelques minutes, le train avait
freiné son
allure. Des successions floues de bâtiments neufs ou
vétustes, hangars,
immeubles, zones commerciales, un éventail de rails, de
caténaires, le
tout s’enchevêtrant dans la grisaille des banlieues.
Un net ralentissement : on allait
entrer en
gare. Déjà, certains voyageurs se levaient pour récupérer
leurs bagages
et le contrôleur qui n’avait plus personne à contrôler se
préparait lui
aussi à descendre. D’un mouvement de tête, il salua Fabien.