extrait 8
L’homme marchait prudemment au bord de la chaussée. Rien dans son
accoutrement ne trahissait son identité. Il se retournait fréquemment.
Parfois, au bout de quelques dizaines de mètres, il s’arrêtait,
inquiet, l’oreille aux aguets, prêt à la première alerte à s’évanouir
derrière une haie. Malgré les ténèbres qui l’enserraient, il jugeait
approximativement du chemin parcouru aux points lumineux qui se
recomposaient en fonction de son avancée. Le signal intermittent d’un
phare balayait la campagne et déplaçait alternativement les ombres. On
était au cœur de la nuit. Le silence oppressant des alentours laissait
filtrer par instants, vers sa droite, la rumeur diffuse de l’océan à
marée haute.
Le bruit d’un véhicule et le halo jaunâtre de ses
feux. D’un bond, l’homme avait franchi le talus et s’aplatissait à la
lisière d’un champ. L’auto le doubla sans que son conducteur ait pu
soupçonner sa présence, puis les pointillés rougeoyants des veilleuses
s’amenuisèrent presque jusqu’à se rejoindre. Alors, il se redressa et
reprit sa marche.
Il y avait quelque chose d’irréel en cette présence.
Comme cette ombre qui le devançait et inlassablement pivotait puis se
fondait pour réapparaître au tour d’après, l’individu semblait cerné
par une meute silencieuse qui, inévitablement, allait le rattraper.
Après un virage, les lumières du village lui apparurent, les premières
à cinq cents mètres à peine. Il s’arrêta, cherchant des repères. Un
chemin de terre à main droite qui longeait une vigne. C’était bien là.
En se rapprochant de la mer, la rumeur des vagues se précisait.
Maintenant qu’il avait abandonné la grand-route, il se sentait plus
serein pour avancer. À plusieurs reprises, il se prit même à maugréer à
voix haute, n’ayant pu éviter des flaques de boue qu’il avait prises
pour de l’herbe.
La masse noire et confuse d’une fermette dont les
contours se précisaient par intermittence à la lueur du phare ;
une ancienne bâtisse, peut-être une maison de vigneron. Bloqués par une
chaîne cadenassée, les deux pans du portail, partiellement disjoints,
laissaient deviner, sous les éclairs furtifs, un délabrement de
l’ensemble ; en effet, une végétation brouillonne avait
profité des prémices printanières, et malgré les ténèbres, les
circonvolutions d’un liseron qui s’agrippait aux montants témoignaient
de cet état d’abandon.
Arrivé à ce point précis, l’homme s’immobilisa,
regardant de droite et de gauche ; il paraissait perplexe. Tout
était désert et la brise qui maintenant refluait du large faisait
frémir les herbes. Toujours à l’arrêt, il inspectait les alentours et
tentait de se remémorer la marche à suivre. Au bout du compte, il se
décida et longea la clôture. À son approche, un lapin détala, ce qui le
fit sursauter. Ayant atteint l’angle de la propriété, il le contourna
par la gauche et suivit l’enceinte sur une quinzaine de mètres. À
l’endroit marqué sur le sol par une grosse pierre, il entreprit de
faire glisser le fil de fer qui tenait la partie supérieure d’un piquet
puis repoussa à tâtons le grillage avant de s’insinuer par l’espace
entrouvert. Méthodiquement, il remit tout en place et de nouveau
suspendit ses mouvements.