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— Bonjour. Vous me remettez ? On a discuté l’autre jour au marché…
— Ah, tout à fait !
— Vous m’aviez dit qu’à l’occasion, vous aimeriez
poursuivre notre discussion… Alors, comme je suis en vacances et que je
fais quelques balades avec un copain, je me suis renseigné…, et mes pas
m’ont mené jusqu’à vous.
— Je vous offre un rafraîchissement ?
Et à l’attention de Thierry :
— N’ayez crainte, elle ne mord pas !
L’appentis devant lequel se tenait le vieil homme
dénotait une organisation méthodique. L’espace pourtant restreint était
occupé au mieux des nécessités. Tout y était soigneusement rangé, les
instruments de maçonnerie côtoyaient les outils de jardinage, à
proximité d’une masse et d’un coin pour fendre les bûches.
En pénétrant dans la maisonnette, il semblait aux
deux camarades être revenus un bon demi-siècle en arrière. Le moins
qu’on pût dire, c’est que le progrès n’avait pénétré là que sur la
pointe des pieds. Une table en chêne massif encombrée d’un journal
replié, d’ustensiles divers et assortie de deux bancs, la cuisinière à
bois à proximité de la cheminée ; pas de télévision, mais un vieux
transistor. Du coup, le réfrigérateur flambant neuf paraissait incongru
au milieu de ces objets d’une autre époque.
Mais le plus étonnant, sans doute, était cette
accumulation de livres et de revues de toute nature qui se bousculaient
le long des rayonnages. Si certains retraçaient des péripéties de la
dernière guerre, plus surprenants dans ce décor étaient les nombreux
ouvrages classiques aux titres évocateurs, sans oublier des manuels de
philosophie, mais aussi l’Énéide ou l’Histoire des Mayas…
Quelques photos, la plupart anciennes, en noir et
blanc, sauf l’une d’elles, dans un cadre majestueux, qui représentait
une jeune fille à la fleur de ses dix-huit ans… Et l’inévitable ruban
de glu qui pendait du plafond et qui remplissait parfaitement sa
fonction au bourdonnement incessant qui en émanait et qui ne semblait
nullement déranger leur hôte.
Et par-dessus cet ensemble, un indéfinissable
parfum, curieux mélange de bois, de cire ou de fleurs séchées apportait
à la pièce un aspect plus propret qu’il ne l’était vraiment.
Le rafraîchissement en question se résumait à un
verre de gros vin que Barbaluis leur servit machinalement sur un coin
de table. Comme il eût été malséant de refuser, les invités firent
contre mauvaise fortune bon cœur et honneur au divin breuvage.
— Pas vrai qu’il est bon ? Je l’achète au
marché : un petit producteur de la région. Dans le temps, j’avais
un coin de vigne et j’en faisais moi-même. Mais tout change.
[…]