La vallée des ancêtres.

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Extrait 6

[…] Pareille à celles gravées sur le schiste orangé, la longue faux poursuit son œuvre de misère et de destruction en le privant de ceux auxquels il tenait le plus…
   Que cherche-t-il dans les étoiles ? Un espoir, une réponse, un signe du destin ? Parfois, l’une d’elles se décroche en une traînée éphémère pour se fondre dans le néant. Est-ce une âme en perdition ?
   C’est bien là. Cinq nuits que cela dure… Par intermittence, une lueur insolite éclaire le vallon de Blanchefont. S’il n’en perçoit pas à proprement parler l’éclat, vraisemblablement masqué, le halo qu’il génère baigne les rochers de l’entour d’une irréelle clarté qui ne présente rien de commun avec les feux de camp ou les traditionnelles lampes à pétrole. Voilà qui est incompréhensible ! Et pourtant, il doit bien y avoir une explication, aussi saugrenue soit-elle, comme sa propre expérience le lui a si souvent démontré !
   Le vallon sert-il de refuge à un ermite ? Depuis la toute première fois que son instinct l’a guidé jusque-là, Blanchefont a exercé sur lui une attirance incontrôlée. Pourquoi plus ici qu’ailleurs ? À cause de ces parois constellées de cavités qu’on dirait alignées par un caprice divin, des gravures disséminées, de ces lacs si petits qu’ils ressemblent à des mares où les névés mourants viennent se résorber goutte à goutte ? Jamais il n’en a compris la raison. Pourtant, le fait est que dans cet univers de rocaille où chaque replat herbeux est une bénédiction pour le visiteur, loin de tous et de tout, si loin même qu’il en oublie jusqu’au défilement des heures, là, en parfait accord avec la nature, il éprouve enfin une pleine sensation de bien-être et de sérénité.
   Pietro a parcouru de nombreuses fois cet endroit sans jamais y déceler la moindre trace d’un feu ou d’une présence ignorée. De plus, il sait combien, en montagne, la perspective peut être trompeuse. Néanmoins, cette lueur le tracasse ; certes, pas au point d’y penser à longueur de temps, mais sa curiosité ne s’émousse pas. Se peut-il qu’elle soit la conséquence d’un phénomène naturel ?
   Il lui faut une bonne fois pour toutes en avoir le cœur net. C’est la raison pour laquelle il a décidé de s’attarder dans le vallon jusqu’à une heure avancée de la nuit. Aussi, après avoir pris les précautions d’usage afin de n’inquiéter personne, il a passé la fin d’après-midi à parcourir l’endroit sans rien y déceler d’insolite. Une fois de plus, il s’est allongé dans l’herbe auprès d’un point d’eau puis, gavé de lecture, a dû somnoler quelque peu.
  Quand il ouvre la paupière, la montagne est déjà parée de ce ton mauve qu’elle revêt à l’approche du soir. À l’orient, de pâles rayons frappent encore les cimes et des nuages aux liserés orangés doucement se dispersent. L’atmosphère se charge d’humidité tandis que la fraîcheur s’installe. Un surprenant silence écrase la montagne, à peine troublé par un indéfinissable cri de bête ou le choc sourd d’une pierre. Pietro tend l’oreille : sont-ce des clarines qu’il perçoit dans le lointain et que l’air lui rapporte en fragments ? Il n’en est plus très sûr.
   C’est l’heure où tout devient gris, uniforme, où l’œil essaie de deviner, l’heure où les distances s’abolissent, où la clarté s’étire encore jusqu’au lent basculement vers les ténèbres…
[…]

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