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Pareille à celles gravées sur le schiste orangé, la longue faux
poursuit son œuvre de misère et de destruction en le privant de ceux
auxquels il tenait le plus…
Que cherche-t-il dans les étoiles ? Un espoir, une
réponse, un signe du destin ? Parfois, l’une d’elles se décroche
en une traînée éphémère pour se fondre dans le néant. Est-ce une âme en
perdition ?
C’est bien là. Cinq nuits que cela dure… Par
intermittence, une lueur insolite éclaire le vallon de Blanchefont.
S’il n’en perçoit pas à proprement parler l’éclat, vraisemblablement
masqué, le halo qu’il génère baigne les rochers de l’entour d’une
irréelle clarté qui ne présente rien de commun avec les feux de camp ou
les traditionnelles lampes à pétrole. Voilà qui est
incompréhensible ! Et pourtant, il doit bien y avoir une
explication, aussi saugrenue soit-elle, comme sa propre expérience le
lui a si souvent démontré !
Le vallon sert-il de refuge à un ermite ? Depuis la
toute première fois que son instinct l’a guidé jusque-là, Blanchefont a
exercé sur lui une attirance incontrôlée. Pourquoi plus ici
qu’ailleurs ? À cause de ces parois constellées de cavités qu’on
dirait alignées par un caprice divin, des gravures disséminées, de ces
lacs si petits qu’ils ressemblent à des mares où les névés mourants
viennent se résorber goutte à goutte ? Jamais il n’en a compris la
raison. Pourtant, le fait est que dans cet univers de rocaille où
chaque replat herbeux est une bénédiction pour le visiteur, loin de
tous et de tout, si loin même qu’il en oublie jusqu’au défilement des
heures, là, en parfait accord avec la nature, il éprouve enfin une
pleine sensation de bien-être et de sérénité.
Pietro a parcouru de nombreuses fois cet endroit sans
jamais y déceler la moindre trace d’un feu ou d’une présence ignorée.
De plus, il sait combien, en montagne, la perspective peut être
trompeuse. Néanmoins, cette lueur le tracasse ; certes, pas au
point d’y penser à longueur de temps, mais sa curiosité ne s’émousse
pas. Se peut-il qu’elle soit la conséquence d’un phénomène
naturel ?
Il lui faut une bonne fois pour toutes en avoir le cœur
net. C’est la raison pour laquelle il a décidé de s’attarder dans le
vallon jusqu’à une heure avancée de la nuit. Aussi, après avoir pris
les précautions d’usage afin de n’inquiéter personne, il a passé la fin
d’après-midi à parcourir l’endroit sans rien y déceler d’insolite. Une
fois de plus, il s’est allongé dans l’herbe auprès d’un point d’eau
puis, gavé de lecture, a dû somnoler quelque peu.
Quand il ouvre la paupière, la montagne est déjà parée de ce ton
mauve qu’elle revêt à l’approche du soir. À l’orient, de pâles rayons
frappent encore les cimes et des nuages aux liserés orangés doucement
se dispersent. L’atmosphère se charge d’humidité tandis que la
fraîcheur s’installe. Un surprenant silence écrase la montagne, à peine
troublé par un indéfinissable cri de bête ou le choc sourd d’une
pierre. Pietro tend l’oreille : sont-ce des clarines qu’il perçoit
dans le lointain et que l’air lui rapporte en fragments ? Il n’en
est plus très sûr.
C’est l’heure où tout devient gris, uniforme, où l’œil
essaie de deviner, l’heure où les distances s’abolissent, où la clarté
s’étire encore jusqu’au lent basculement vers les ténèbres…
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