[…]
Et toujours, cette scène revenait le hanter : Robert qui
s’éloignait dans la pénombre sans que lui-même pût intervenir. Où
allait-il ? Plutôt, vers qui allait-il ? Mais oui, c’était
cela, quelqu’un l’attendait, quelqu’un l’appelait !
« Bon Dieu ! » s’exclama-t-il
brusquement, ce qui se traduisit aussitôt par un violent coup de frein.
Floue encore et surgie du néant de ses rêves, nimbée d’une pâle aura,
l’image qui ne cessait de lui échapper, cette même image était en train
de se matérialiser à travers son esprit. Comment avait-il pu à ce point
l’éclipser ? Isabelle… D’évidence, elle était la clef de l’énigme,
qui annonçait la disparition de Robert et la justifiait.
Peu à peu, il voyait Robert s’approcher d’elle, l’enlacer
dans une rencontre insensée, pourtant sans surprise et où,
manifestement, déjà l’un et l’autre se connaissaient. Comment était-ce
possible ? Était-il inepte au point de croire en ses
hallucinations ? L’anxiété lui avait-elle porté sur le
système ?
Il se reprit à pédaler de plus belle. Pourtant,
l’arrière-plan demeurait avec insistance et se déroulait sous ses yeux
comme une séquence de cinématographe cent fois recommencée ; lui,
silencieux, paralysé, assistait à la scène, impuissant à empêcher
Robert de rejoindre sa bien-aimée.
Oserait-il l’avouer ? Non. Assurément, on le
prendrait pour un fou. Peut-être le suspecterait-on, qui sait ? De
toute façon, il ne s’agissait que d’un mirage de sa perception, d’une
fâcheuse illusion qui se trouvait en concordance avec les faits.
Mais si tout cela était vrai, s’il n’avait pas
rêvé ? S’il existait un pouvoir, surnaturel, occulte, au-delà de
l’espace et du temps, alors… Il tenta de maîtriser le flot torrentueux
des hypothèses qui se bousculaient. Quel lien entre le passé et le
présent ? Il sursauta, se remémorant les paroles de son compagnon
tout juste avant l’orage, alors qu’ils s’avançaient sur le mur
d’enceinte ; dans la ferveur de l’instant, une confidence qu’il
lui avait faite et qui tranchait singulièrement de son attitude
ordinaire. Ces paroles lui revinrent en mémoire, comme un début de
réponse : « Il me semblait
tout à coup que j’avais déjà vécu cet instant précis et que je m’étais
trouvé là dans des circonstances similaires ; la tour à ma gauche,
les collines avoisinantes, l’arête en contrebas, le donjon, tout
revenait naturellement à ma mémoire sans que j’en éprouve un quelconque
sentiment de surprise… »
[…]