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La proximité des vacances ne l’enthousiasmait pas outre mesure. Non
qu’il n’en éprouvât le besoin : le long trimestre s’effilochait en
d’interminables heures dont l’accumulation monotone et répétée se
conjuguait à la trop brève clarté du soir. Des jours trop courts,
presque mort-nés pour peu que le ciel fût bas, et l’exaspérante
sensation de ne pas les avoir vécus. Il attendait avec impatience le
solstice, ce basculement qui doucement leur permettrait d’aller en
s’étirant vers la lumière et la chaleur. N’eût été la salutaire rupture
qu’ils représentaient, ces congés-là restaient pour lui d’une infinie
tristesse. Impossible d’en profiter à sa guise. C’était l’époque des
devoirs familiaux, des invitations rendues, des déjeuners qui
s’achevaient la nuit venue, de l’inévitable foie gras et de la dinde
aux marrons engraissée pour l’occasion, de la grand-tante moustachue,
du cousin, vieux garçon qui, à peine arrivé le dessert, embrayait sur
sa blessure héroïque dans le djebel algérien puis son évacuation par
hélicoptère sous le feu de l’ennemi. Ah, lui, contrairement à d’autres,
il avait eu de la chance !
Mais le pire de tout, c’était la grand-tante en
question. Non pas elle, en tant que parente — la brave femme
n’aurait pas fait de mal à une mouche —, mais son poil… Une
hantise que ce poil ! Une peur irraisonnée qui le plongeait au
plus obscur de ses frousses enfantines. Ce qu’il en avait fait des
cauchemars, à cause de ce poil ! Qui plus est affublée d’une
énorme verrue sur le nez, nul doute que la pauvre, qui perdait aussi
ses cheveux, aurait eu toutes ses chances pour être élue reine d’un
jour au concours de la fée Carabosse ! Au fil des ans, ce fameux
poil était devenu une véritable obsession : long, hérissé,
aiguisé, invulnérable, il avait quelque chose de diabolique et se
plantait dans sa joue tel un dard irrésistible. En vain, Pierre avait
tout tenté pour y échapper, pour reculer le moment fatal en espérant
qu’une bonne fée, celle-là, viendrait à son secours. La poignée de
main ? Macache ! La fuite ? Peine perdue. Quel que soit
le subterfuge utilisé pour se dérober, rien à faire… et avec un sourire
perfide et triomphant, il la voyait inéluctablement s’avancer vers lui…
Depuis qu’il était môme et pour ne point froisser sa
mère, il devait prendre son courage à deux mains et faire face, ne pas
reculer devant le fatidique poil et sourire, coûte que coûte. Puis
endurer, l’air intéressé, la litanie des rhumatismes et autres
afflictions, tout en y adhérant de bon cœur. Vaste
programme ! […]