L'orphelin de jamais.
Seconde partie : L'enfance retrouvée

© Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.




Extrait 19

[…] La proximité des vacances ne l’enthousiasmait pas outre mesure. Non qu’il n’en éprouvât le besoin : le long trimestre s’effilochait en d’interminables heures dont l’accumulation monotone et répétée se conjuguait à la trop brève clarté du soir. Des jours trop courts, presque mort-nés pour peu que le ciel fût bas, et l’exaspérante sensation de ne pas les avoir vécus. Il attendait avec impatience le solstice, ce basculement qui doucement leur permettrait d’aller en s’étirant vers la lumière et la chaleur. N’eût été la salutaire rupture qu’ils représentaient, ces congés-là restaient pour lui d’une infinie tristesse. Impossible d’en profiter à sa guise. C’était l’époque des devoirs familiaux, des invitations rendues, des déjeuners qui s’achevaient la nuit venue, de l’inévitable foie gras et de la dinde aux marrons engraissée pour l’occasion, de la grand-tante moustachue, du cousin, vieux garçon qui, à peine arrivé le dessert, embrayait sur sa blessure héroïque dans le djebel algérien puis son évacuation par hélicoptère sous le feu de l’ennemi. Ah, lui, contrairement à d’autres, il avait eu de la chance !
    Mais le pire de tout, c’était la grand-tante en question. Non pas elle, en tant que parente — la brave femme n’aurait pas fait de mal à une mouche —, mais son poil… Une hantise que ce poil ! Une peur irraisonnée qui le plongeait au plus obscur de ses frousses enfantines. Ce qu’il en avait fait des cauchemars, à cause de ce poil ! Qui plus est affublée d’une énorme verrue sur le nez, nul doute que la pauvre, qui perdait aussi ses cheveux, aurait eu toutes ses chances pour être élue reine d’un jour au concours de la fée Carabosse ! Au fil des ans, ce fameux poil était devenu une véritable obsession : long, hérissé, aiguisé, invulnérable, il avait quelque chose de diabolique et se plantait dans sa joue tel un dard irrésistible. En vain, Pierre avait tout tenté pour y échapper, pour reculer le moment fatal en espérant qu’une bonne fée, celle-là, viendrait à son secours. La poignée de main ? Macache ! La fuite ? Peine perdue. Quel que soit le subterfuge utilisé pour se dérober, rien à faire… et avec un sourire perfide et triomphant, il la voyait inéluctablement s’avancer vers lui…
    Depuis qu’il était môme et pour ne point froisser sa mère, il devait prendre son courage à deux mains et faire face, ne pas reculer devant le fatidique poil et sourire, coûte que coûte. Puis endurer, l’air intéressé, la litanie des rhumatismes et autres afflictions, tout en y adhérant de bon cœur. Vaste programme !  […]

RETOUR