L'orphelin de jamais.
Seconde partie : L'enfance retrouvée

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Extrait 17

[…] Il reverrait longtemps la sérénité de ce visage de cire, pétrifié en un masque suprême et qui semblait lui dire, au-delà du linceul, la satisfaction d’avoir retrouvé les siens, ceux que la guerre lui avait volés. Pierre l’avait accompagné jusqu’au bout, jusqu’à sa dernière demeure. « Sans  fleurs ni couronnes… » avait demandé le défunt quelques jours auparavant, dans l’un de ses doux moments de lucidité.
    Peu de monde en ce matin frileux où, la tête basse, il suivait le corbillard, accompagné de ses parents. La cérémonie avait été on ne peut plus sobre. Seuls, les deux premiers bancs se trouvaient pourvus. Ce n’était pas la foule des grands jours ! Pas de famille, quelques voisins, des fréquentations que le vieil ours avait entretenues épisodiquement, le plus souvent comme client, puis l’inévitable confrérie des grenouilles de bénitiers et mémères à moustache — de toute éternité amoureuses de Monsieur le Curé — dont les bêlements épisodiques au moment des répons et autres cantiques ne laissaient pas d’égayer l’office et qui, pour un empire, n’auraient manqué une messe, aussi sommaire fût-elle.
    Bien entendu, le disparu n’avait pas légué de directive quant à ses obsèques. Mais tradition oblige… En tout cas, depuis cet ailleurs qu’il espérait tant, s’il assistait à ladite cérémonie, sans doute ne devait-il pas s’ennuyer ! Outre le fait que l’intéressé n’avait jamais été des plus empressés le dimanche matin, comme il n’avait non plus jamais participé à l’incontournable denier du culte, l’éloge funèbre fut des plus brefs et l’abbé Durieux y alla de bon cœur afin d’expédier au plus vite les affaires courantes.
    Malgré son désarroi, Pierre ne pouvait s’empêcher de sourire en évoquant le révérend dom Balaguère des Trois messes basses tant la rapidité d’exécution du chef de chœur tenait du prodige. Il faut préciser à sa décharge que deux autres enterrements l’attendaient dans une commune avoisinante, dont celui d’un notable qu’il eût été disconvenu de faire patienter trop longtemps. Du coup, après une homélie chaotique, il enchaîna si rapidement que même les plus assidues de ses ouailles, en complet décalage, avaient les plus grandes difficultés à se retrouver dans la succession des rites liturgiques ! Enfin, le cérémonial s’acheva sur un signe de croix, et tandis que le cortège s’ébranlait — en même temps que la voiture du prêtre — Pierre songeait à l’inanité du destin.
    Pauvre homme ! Malgré l’aspect toujours pathétique d’une vie qui s’achève, il comprenait mieux à présent cette existence en trompe-l’œil qui avait été la sienne, puis cet abandon de toute lutte devant la maladie. À quoi bon reculer l’échéance ? Au contraire, plus la libération était proche, plus le vieil homme paraissait serein.
    « Les violettes sont le sourire des morts » avait dit un poète. Pierre n’avait pu s’empêcher d’en cueillir une au passage, sur le talus du cimetière et de la déposer là, sur le bois blond du cercueil, au moment où la fosse allait l’engloutir. Puis il était retourné seul, le cœur gros, évitant les regards afin de mieux cacher sa peine. Et il avait marché longuement, comme jadis au départ de Sophie, perdu dans ses pensées, dévoré d’impossibles attentes, incapable d’accepter l’inéluctable et se reprochant de n’avoir été plus présent…
[…]

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