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BE-BOP / ARRIÈRE-SAISON


 

Je ne savais rien d’elle. J’avais levé Lula dans une fête de campagne alors qu’elle dansait, seule, un verre à la main. Un regard avait suffi et après les questions rituelles et les réponses prévisibles, comme il faisait très chaud dans ce gros bourg que les Pelauds avaient posé sur la Vienne il y a belle lune, nous avions décidé d’aller prendre l’air, là-bas, sur le plateau.
J’étais garé près de la collégiale, mais avant de rejoindre la voiture, j’achetai au passage, dans une épicerie surgie des années cinquante, un peu de pain, du saucisson, deux ou trois bouteilles de Bourgogne oubliées dans un coin, sur un vieux présentoir.
Elle ne disait rien, souriait de toutes ses dents qu’elle avait fort nombreuses, et semblait fixer quelque chose qui serait apparu au-dessus de mon épaule.
Je suggérai de pousser jusqu’aux fameuses ruines gallo-romaines où tables et sièges de granit n’attendaient plus que nous depuis deux millénaires.
En arrivant, son alacrité s’enfla au rythme des nuages qui ourlaient l’horizon et le repas fut un régal ; le Pommard y surclassa la cervoise et Lula se mit à chanter, à déclamer dans une langue inconnue, sous un ciel d’orage qui commençait lui aussi à s’animer, elle sautait de roc en roc si je faisais mine de la poursuivre sur l’oppidum, dans ce chaos de pierres mal dégagées de la terre nourricière, de colonnes et de linteaux mis à bas par les siècles incléments ou les envahisseurs, et notre sarabande, que je ne cherchais plus à interrompre, paraissait devoir s’installer pour l’éternité, sous le fouet du tonnerre et les huchées de la diablesse de plus en plus belle et désirable.
La nuit tombait quand l’orage jeta sa faux dans le ciel, déchirant les outres gigantesques que l’été gardait dans ses greniers. Lula maintenant dansait dans les flaques que des vasques naturelles lui offraient, Lula se balançait, invoquant quelque divinité celtique, Lula réussissait toujours à m’échapper.
Alors que j’allais renoncer à sa poursuite, elle se planta, conquérante, victorieuse, releva haut sa jupe de coutil sur le cuivre de la chair nue, s’accroupit sur une dalle en saillie, à hauteur d’homme, et libéra avec volupté une gerbe de lumière qu’une force irrépressible me conduisit violemment à brouiller, le visage renversé en arrière, ruisselant de la pluie d’été et des entrailles de Lula qui semblaient vouloir ne plus jamais s’arrêter de couler !
Et je restai là, écrasé dans la chaleur du granit tandis que d’une pression sans appel, elle m’abouchait à la source bientôt tarie, où je continuai de laper, serrant ses chevilles fines, alors que la fureur du ciel mêlait ses grondements aux cris et aux rires de Lula, grossissant s’il se pouvait encore une respiration étrange et désordonnée que j’amenai jusqu’à son terme.






ARRIÈRE-SAISON





Si l’arrière-saison est belle en Limousin, ce n’est pas celle du lutteur fatigué qui braconne encore dans les bois, perdant à chaque enjambée les traces qui le mèneront, pense-t-il, avec toute la force de sa foi, au silence de la tombe. Entre des arbres accablés de couleurs, il progresse au hasard, sans vraiment se soucier des fientes et des cris d’animaux qui pourraient le guider, il suit, pauvre bourineur du soir, le sentier que bien d’autres, tous les autres, ont emprunté avant lui, se retournant souvent, s’arrêtant parfois, comme s’il avait la possibilité de revenir en arrière. Chose vaine !






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