LA VÉRIFICATION

La princesse


Il n’attendit pas longtemps. La princesse surgit à l’entrée, pressée et déterminée. Elle s’empara de lui et l’entraîna à l’écart. Elle l’adossa à un mur, le fixa droit dans les yeux, sans mot dire. S’en suivit un baiser affamé, celui qu’on livre après la traversée du désert. Sans escale.
Ses lèvres avaient le goût du désir. Ni sucrées, ni salées, ni fines, ni épaisses, pas plus que claires ou sombres. Leur chimie était envoûtante et il se laissa faire, se contentant de saisir sa taille en guise de préhension minimale. Il était ébahi, en même temps qu’intimidé, le grand sot. Il ne s’abandonnait pas. C’était plutôt un prêt très intéressé de son corps. Il croulait sous la botte de l’envahisseur. Car elle était bottée, la conquérante.
Simon avait perdu pied, puis maintenant, c’était le fil. Elle tira en arrière, les deux bouches se délièrent en claquant. Elle le dévisagea de nouveau, presque heureuse. Il eut vaguement l’impression d’en être un autre. Elle voyait à travers lui, au-delà de son étroite personne. Il n’allait pas faire son douillet, sa mauvaise tête. Piano et sano, il se peignit une face aimable, avenante, surtout pas distraite. Ses méditations grincheuses s’enfouiraient bientôt sous l’amas d’un défouraillage caramélisé qu’il devinait déjà. Il attendait la suite avec impatience. Du sombre gouffre de sa gorge, elle l’affranchirait en quelques mots, comme un parrain se révèle à une petite frappe des bas quartiers. C’est bô, une femme aimante.
Elle dit : “ Viens ”.
Il adorait ces instants, le lent escalier aux marches irrégulières, tantôt franchies prestement, tantôt paralysées de nervosité, qu’ils montaient dans la nuit de septembre. Ils embarquèrent dans la voiture de Simon. Ils se retrouvèrent côte à côte, en pause, en chien de faïence, scandés par les “ droite ”, “ gauche ”, “ tout droit ” qu’elle dictait, lapidaire, à son élève discipliné.
Simon avait enfin quitté ses sphères cérébrales. Il se fit un film bien plus agréable. Au milieu de l’écran, jaillissaient de gigantesques mots en lettres rouges : “ Tu vas baiser ! ”. Graveleuse splendeur, féerie animale. N’était-ce pas le but du jeu ? Ce n’était pas avec elle qu’il parlerait beaucoup. Elle voulait démontrer à son ex que sa liberté n’était pas un veuvage, analysa-t-il en conduisant moelleusement. Oblique et furtif, il inspecta les longues jambes de la passagère jusqu’à leur jointure moulée par le tissu. Paradise avenue.
Devant l’imminence, il fit des efforts pour se relâcher. Les préliminaires embrouillés convergeaient vers l’entonnoir des étreintes factices. A la boucherie Sanzot, tu es la chair de l’autre, il est ta chair. Le repas se mastique dans la jolie musique des succions diverses, du grain velouté des épidermes qui pousse un chant déchiré de caoutchouc ; on l’astique, on le violente. Les draps se plissent en océan courroucé, ils lâchent un feulement mat, s’enroulent en boas laiteux. Le souffle est court, chaud, haletant. On geint comme si la bouche était pleine, puis l’alphabet apparaît, les discours suivent parfois. Art contemporain dans le meilleur des cas. En général, ça va mieux après. L’aube devient insensiblement froidure ; les pâles rayons, filtrés par les volets fatigués, gèlent le décor dans un maléfice. C’est fini. Retour à la base. Les spectres se lèvent, blancs, fades et tremblants. Ils assument le rite, gravent pour la postérité un au revoir incertain mais définitif. Le visiteur disparaît dans le froissement de l’air, promis au dépôt tannin d’un fond de bouteille, dans l’entassement d’une cave, rayon cimetière, souvenir d’une lubricité émue. Dans la rue, Babylone se réveille et s’ennuie déjà. L’heure du laitier a sonné. Pour l’éternité, tu as vécu.
“ C’est ici, c’est chez une copine encore en vacances ”. Ils sortirent de la voiture en conspirateurs. Pas vraiment partisane du mélange de genres, une chose à la fois, elle ne lui fit même pas un bécot enjoué lorsqu’ils se serrèrent devant la porte d’un vieil immeuble.
Impératrice digne, elle se concentra sur la recherche d’un trousseau dans un sac, bien entendu, exagérément bourré et mal géré. Un estomac de requin. On pourrait sûrement reconstituer sa vie rien qu’en le déballant. Un cliquetis rassurant se fit entendre. Une clé émergea de la masse. L’ouverture s’enrichit d’une charge vigoureuse de l’épaule, là où la peinture s’écaillait.
Ils gravirent un colimaçon branlant et craquant, aisément prophétique d’une literie durement éprouvée. Nouveau sas, nouvelle charge. Arrêt buffet.
Il n’y avait pas de commentaires à faire. Place était libre pour l’action pure. Le dégivrage était déjà en route, ils ronronnaient comme des félins prêts à la sieste crapuleuse. Simon se grisa d’un délice vertébral. Ses doigts passèrent sous les vêtements et caressèrent le dos en suivant le sillon qui, bien creusé, se cambrait. Il nota que Carole demeurait passive, collée à lui, visage blotti dans son cou. Il continua son entreprise en éliminant tous les boutons qu’il rencontrait.
La princesse perdit pratiquement tous ses atours. Il se débrouilla seul pour se déshabiller, la trouvant inhibée et décevante. Allait-il tout faire ? Elle ressemblait de plus en plus à un mannequin de prisunic. Il l’amena doucement sur le lit, plus convainquant que convaincu. Il eut la surprise de constater assez vite et très concrètement que sa réserve n’était qu’une façade. Elle avait envie. Elle sauterait bientôt au plafond. C’était certainement sa façon de savourer, cette contrainte qu’elle s’imposait.

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