LA SPLENDEUR
DU DOS D'ALBRECHT

Le crétin des Alpes


Auguste l’a encore grondé. Il lui a fait un numéro de mafieux à la colère rentrée. Ainsi, Florent n’a pas appelé Sophie, la marchande de tableaux. Crétin des Alpes. Les jours de gloire, c’est ainsi qu’il le nomme, lointain souvenir d’une chute sur une piste de ski où Florent avait enfin daigné s’aventurer pour faire plaisir à son ami. Plus précisément, Florent avait perdu un pari et il devait descendre une piste noire, lui, l’anti-sportif pour lequel une bleue suffisait à l’amener à la folie frénétique d’un conquérant des pôles ou à l’extase suicidaire d’un base-jumper. Là, après diverses implorations et prières que n’aurait pas reniées un chrétien devant un lion, il s’était lancé dans ce qui lui paraissait être une pure verticalité. Le drame eu lieu au milieu de la piste. Le héros se reposait de son exploit. Conseillé par son bourreau, il avait effectué quelques courageux virages, avait frotté ses fesses sur les bosses, avait juré haut et fort, mais n’avait pas mangé de neige ni déchaussé dans la pente. Debout et enfin stable, il haletait, appuyé sur ses bâtons, lorsqu’un individu, surmonté d’un énorme bonnet rouge, l’avait percuté violemment. La suite de la piste, un grand mur tombant d’un jet au pied de la montagne, fut dévalée par les deux lascars serrés inextricablement, roulant et criant, sautant et fusant, comprimés dans ce qui fut vite une boule que les autres skieurs esquivèrent tant bien que mal, comme des quilles prenant la fuite. Le paquet arriva sur le plat final, chacun compta ses membres, tâta ses contusions, mais il n’y avait pas de casse. L’agresseur s’excusa, tenta de se justifier, avec conviction et talent. Evidemment, il était désolé, évidemment, il regrettait, évidemment, c’était la première et la dernière fois.
En réponse, Florent et Auguste le mirent plus bas que terre. Sans se concerter, ils lui administrèrent la suprême morale, celle qui stipulait que des excuses venaient toujours trop tard. “ Crétin des Alpes ”, lui jetèrent-ils à la figure en guise d’épitaphe. Les gens courtois avaient le défaut d’être désarmés quand on ne jouait pas le jeu. Un gros mot, une attitude grossière, et leur regard plongeait vers le sol pour accepter la sentence. Fais-moi mal Johnny.
Les personnes de cet acabit se faisaient de plus en plus rares. Un ton direct et une familiarité dépoitraillée étaient davantage en cour. Ils avaient savouré le spécimen en bonnet rouge, ce modèle de bonté conforme. Sans faiblesse, ils avaient taillé dans sa chair fraîche.

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