Évaluation en Moyenne Section :
Précocité d’une exigence sélective ou instrument de remédiation anticipative ?
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Comment la politique éducative d’un état est conforme à sa politique générale.
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« L’école est bien davantage malade de la société que la société ne l’est de l’école. »
« Il
y a trois métiers impossibles qui ne seront jamais considérés comme
satisfaisants : l’analyse, la politique et l’éducation. »
Tout
acte accompli dans une classe ne peut se considérer comme un élément
purement technique, découlant d’une pédagogie déconnectée de la
société. La vision de l’enfant que l’école développe évolue avec celle
que la société entretient à son égard. Elle n’a rien de neutre,
constant et désintéressé. En dernière analyse, le fondement d’un choix
pédagogique s’opère sur des valeurs et une philosophie appartenant au
débat politique. L’enseignant vit avec son époque et en transmet
l’évolution, en partie malgré lui et de manière inconsciente.
L’évaluation est un outil exemplaire à ce titre car il traduit la
contradiction d’une réalité toujours élitiste habillée par un discours
égalitaire. Si, apparemment, on est passé en trente-cinq ans de la
note-sanction à une évaluation diversifiée dans le but louable de
mesurer pour remédier ou anticiper, à la sortie du système, on constate
une imperméabilité sociale réitérée.
L’évaluation s’est amplifiée et compliquée, mais aussi intervient de
plus en plus précocement. Cette précocité pourrait nuire à l’égalité
des chances qu’on prétend offrir dans un monde de compétition
économique forcenée.
C’est à travers la chronologie de l’évaluation qu’on peut retrouver la
contradiction entre l’aide et l’exigence, entre le tri social et
l’épanouissement de l’être, entre un outil et ses effets pervers.
Plan du dossier :
1. La révolution copernicienne
2. Les nouveaux enjeux
3. Les défis de la lecture
4. La mise à sac du Palais d’hiver
5. Le cas Jason
6. De l’usage politique du système éducatif.
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1. La révolution copernicienne :
Le
thème général de ce dossier correspond à mon expérience
professionnelle. Depuis 1985, je suis ZIL et mon rattachement est en
ZEP ( banlieue ), ce qui ne m’empêche pas d’intervenir en centre ville
ou à la campagne. Cette variété, structurée par de longs remplacements
de la Petite Section au CM2, m’a amené à me demander ce que chaque
niveau, ce que chaque classe, ce que l’ensemble des écoles fréquentées
avait de commun. Car, au cas par cas, chaque enseignant est un
véritable artisan. Il existe une multiplicité de techniques dont je
retire des leçons à chaque fois. Plutôt que d’aborder une thématique
mono ou pluri-disciplinaire, ou encore transversale, j’ai préféré
évoquer un sujet sensible car récurrent dans les animations
pédagogiques, les conversations entre collègues. L’évaluation est au
cœur de toutes les préoccupations, convergence conflictuelle entre le
Ministère et ses employés, entre la société et son école, entre une
réalité et son reflet.
En premier lieu, elle s’observe chronologiquement.
La note correspondait à une société où chacun était à sa place, les
bons et les mauvais élèves, au travers d’une autorité immuable et d’un
enseignement tout aussi frontal qu’indifférencié, voué, au stricto
sensu, à la transmission de savoirs plus concentrés et moins
diversifiés qu’aujourd’hui.
Mai 68 remit en cause cet enseignement, tout comme il changea les
mentalités. Dans l’école, il procéda à la manière d’une révolution de
l’astrophysique. L’enfant serait enfin au centre du système, et non le
tout-puissant savoir de l’ordre aristotélicien. On brûla l’ancien
temple et on piocha dans d’autres livres la sainteté de nouvelles
écritures. Les mathématiques devinrent modernes, le français se tourna
davantage vers l’expression, la lecture au CP cassa ses briques
syllabiques pour chercher ou retrouver d’autres formules, dites
globales et naturelles. La leçon de choses s’orienta vers la démarche
d’éveil, souvent couplée avec le travail de groupe. On assista à un
vaste dépoussiérage de la vieille école. La disparition de l’estrade
marqua le changement du rapport maître-élève. L’enseignant ne devait
plus être retranché dans sa classe comme un assiégé de Fort Alamo, il
échangeait avec ses collègues, comme l’élève avec les autres élèves. Ce
legs de l’histoire est toujours vivant, on en trouve un écho critique
dans la lettre de Luc Ferry « à tous ceux qui aiment
l’école ». Est-ce pour autant une raison pour en faire le
procès ?
Certes, cette époque concourait à construire l’idée d’un enfant-roi,
vis-à-vis duquel les adultes ne voulaient plus assumer la part
culpabilisante que recèle toute autorité, dès l’instant où elle
s’affirme comme indiscutable. Elle est d’ailleurs toujours présente
dans le discours officiel sur la sanction à l’école. Mais dans les
années soixante-dix, l’école devait suivre le mouvement souhaité par la
société, un mouvement vers une forme de libération et d’émancipation, à
la fois psychologique et sociale. Avec un demi-million de chômeurs, il
ne s’agissait pas encore de viser un niveau global de résultats. La
réussite, de façon subliminale, serait à l’image des libres enfants de
Summer Hill, promus balayeurs heureux et non condamnés à être des
businessmen malheureux.
retour…
Au
début des années quatre-vingts, la crise économique commença à
resserrer les enjeux de l’école. On décréta en objectif national les
80% au niveau du BAC, la nécessité de qualifications poussées se
faisant sentir. Plus largement, l’image de la réussite redevint
matérialiste, ce furent les années de la bourse et de la réhabilitation
des valeurs de l’entreprise. Le mot évaluation pointa, justement hérité
de l’entreprise, qui aujourd’hui parle d’audit. Dans les classes
primaires, on associa à cet objectif national une stratégie savante qui
voyait l’enfant, curieux par nature, faire des hypothèses par le biais
d’un questionnement judicieusement guidé pour aboutir à la découverte
de la notion. Cette démarche dut alors s’étendre à toutes les matières,
sachant que l’enseignant devait savoir transiger et aller plus
directement au but si besoin était. Les acquis étaient désormais de
deux ordres : savoirs et savoir-faire.
Au bout des trimestres, plantées comme des phares aveuglants au milieu
de la nuit, les évaluations se dressaient, non plus comme des barrières
mais déjà comme un instrument de mesure de plus en plus complexe. Les
notes étaient proscrites mais pratiquées, les lettres capitales
remplaçaient de temps en temps les appréciations sur les cahiers.
Les méthodes évoluèrent, les contenus s’enrichirent. Cependant, si on
assista à un constant développement horizontal des contenus, la
profondeur, la verticalité des notions premières de l’enseignement
primaire ne fut jamais réduite symétriquement. Ce développement fut
horizontal à la fois pour la quantité de matières, mais aussi pour le
traitement de chaque notion qui sollicita de plus en plus
l’adaptabilité à des consignes et non la répétition d’exercices
stéréotypés. Cette tendance s’accentua à la fin des années
quatre-vingts et depuis, elle n’a fait que s’accélérer.
Le niveau d’exigence, pour les matières dites
« fondamentales », baissa très peu. Jamais on expliqua
comment faire plus avec une durée de temps de classe identique. On
préféra le faire croire par une sorte d’omission. Les compétences
qualitativement maximales furent toujours visées et on s’étonna que le
pourcentage d’élèves les atteignant diminuait.
On créa la DESP, devenue DEP, direction des évaluations et de la
prospective, les évaluations nationales apparurent. Inévitablement,
elles montrèrent des difficultés en lecture et à l’écrit. Il se disait
à l’époque qu’un redoublant de CP avait 93% de probabilités de ne pas
arriver au BAC. Le chômage croissant, il commença à s’établir un lien
solide entre l’échec scolaire et la difficulté à trouver un emploi. Les
filières se multipliaient, les cursus s’allongeaient, mais les cycles
économiques sont plus courts que les cycles scolaires. Clairement,
l’école devait s’adapter à la demande.
retour…
3. Le défi de la lecture :
Avec,
en amont, une maternelle créative et reconnue internationalement, et,
en aval, le collège unique où se cristallisent bientôt tous les échecs
toutes les rancœurs, l’école élémentaire ne pouvait réussir
l’impossible transition. Elle allait ainsi se retrouver coincée entre
l’égalitarisme et l’élitisme, entre le développement consenti et
harmonieux de l’enfant et son calibrage social. On va tout tenter
pour faire reculer le spectre de l’illettrisme, volontiers brandi par
les pourfendeurs du mammouth. Dans les années quatre-vingt-dix, tout
sera tenté ; le projet sera requis à tous les niveaux, décliné de
l’équipe pédagogique jusqu’à l’enfant seul, à travers une pédagogie
définie comme « différenciée ». Ce qui aboutit aujourd’hui à
la création des PPAP et du livret scolaire.
La gestion de classe devient celle d’un groupe-classe à géométrie
variable : groupes de besoin, groupes de soutien dans et hors du
temps scolaire, demi-groupes langue, informatique, décloisonnements,
etc.
Pour la lecture, on continuera à fouiller d’abord au CP vers des
méthodes plus globales, chargées en théorie de sens, d’envie et de
motivation. Le mot « méthode » lui-même ne possède-t-il pas
une connotation de technique imparable et donc de remède
définitif ?
La BCD, rentrée dans les murs de l’école, sera le centre du monde, on y
apprendra la marguerite et son code. Dans la classe, tous les types et
supports d’écrits sont abordés et créés également. On instaure le
défi-lecture comme on décrète la lecture-plaisir. Inutile d’essayer
d’établir une liste exhaustive, la lecture processionnaire est bien
morte.
Les cycles sont mis en place. Il est important que l’apprentissage de
la lecture soit étalé sur trois ans. Concrètement, un enfant ira au CE1
malgré une lecture défaillante. Normalement, on doit parvenir à le
raccrocher au train sans retards « collatéraux ».
L’évaluation suit cet élan de ramification tous azimuths. Les
compétences se subdivisent à l’infini, les scores supplantent les
notes, on s’arme de trois feutres et on colore. L’enseignant rechigne,
il est devenu un scribouillard. De plus, il faudrait évaluer sur cinq
périodes ; est-ce que cet exercice fastidieux, bâti sur des
tableaux élégants qu’on arbore fièrement, apporte tous les fruits
attendus ?
Car les scores ont la vertu de finir en pourcentages, et les pourcentages en bilan.
retour…
4. La mise à sac du Palais d’Hiver :
Il
était une fois un pays étrange où les enfants ne comptaient que sur
deux mains, modelaient et pataugeaient à leur aise, créaient en
permanence, dessinaient au lieu d’écrire et n’ouvraient les livres que
pour se les raconter. Leurs menus travaux étaient compilés, collés et
donnés régulièrement aux familles qui ne pouvaient que s’en féliciter.
Leur seul crainte résidait dans le rangement de ces volumineuses
créations. Cette maternelle ressemblait à un palais oublié par la
révolution post-industrielle. Le défi de la lecture exigeait donc
qu’elle changeât de philosophie, même si cette révision ne fut jamais
annoncée. Elle s’opéra implicitement, comme dans la continuité d’un
mouvement naturel.
En ce lieu, la rationalisation comptable qu’entraîne l’application d’un
mode d’évaluation jusqu’alors réservé à l’élémentaire représente un
changement radical et concentre davantage toutes les contradictions
existant entre un discours de bienfaits respectueux de l’enfant et
d’exigences accrues à son endroit.
La pré-lecture est devenue lecture, idem pour les pré-mathématiques
devenues mathématiques. Les rites quotidiens sont désormais de purs
moments d’apprentissage, d’imprégnation et de vérification de ceux-ci.
Les notions auparavant diluées et mûries lentement pointent nettement
et durement. L’enfant comprend très précisément qu’il est en situation
de performance attendue, y compris vis à vis de ses camarades et de ses
parents.
La Grande Section se transforme en prépa-CP. On photocopie tout autant
qu’à l’élémentaire. Le remplaçant n’est plus perdu dans un
amoncellement de productions d’art plastique à la cohérence
hiéroglyphique ( seul le maître, souvent maîtresse-céans, sait, avec
son assistante parfois, traduire son code ). Il puise dans les
fichiers, dont certains étaient utilisés peu de temps avant en CP. Il
est rassuré, mais par contre, le temps s’est compressé. Les échéances
succèdent aux échéances. A la journée, il organise ses rotations et les
ateliers libres ne sont plus légion. Il faut finir sa tâche. Dès lors,
on souffre de « zeinot », l’asphyxie du joueur d’échec face
l’horloge. Comme en élémentaire, il court contre le temps, mais en
plus, doit répondre aux canons historiques de la maternelle, les fêtes
sont marquées. Elles sont sources de projets, dont des représentations
en cercle élargi, mais doivent se boucler avec des évaluations. La
« japonisation » larvée guette cette école. Mais comme elle
ne correspond pas à notre modèle de société, sa vérité dérangeante
n’est ni regardée ni évoquée.
Le problème de la lecture avait engendré une étude de ses causes. On
avait constaté la présence précoce de lacunes. Il avait paru alors
indispensable de réformer pour cadrer la maternelle. Plus grave, on
avait décelé un problème de langue, tout simplement. L’opportunité de
scolariser le plus tôt possible, dès deux ou trois ans fut mise en
avant. Il est évident que la majorité des difficultés sur la langue se
situent géographiquement là où les enquêtes de rentrée, qui collectent
désormais les Catégories Socio-Professionnelles, relèvent le chômage,
la pauvreté, et majoritairement, une langue maternelle différente du
français. Une langue mal maîtrisée diffuse ensuite ses poisons associés
dans toutes les disciplines abordées et plus particulièrement celles
engageant l’écrit : lecture haute voix, compréhension, respect du
code. Tout ce qui sert de patte blanche pour passer le seuil de la
réussite sociale dans une économie fournissant de moins en moins
d’emploi très peu qualifié, dans une société où paradoxalement, l’écrit
impose toujours sa loi malgré le règne apparent de l’image, qu’il soit
script de fiction, corpus législatif, documents bancaires ou
administratifs.
Mais la solution préconisée en maternelle, c’est à dire, évaluer comme
en élémentaire, contribue-t-elle à résoudre le problème ( s’il est
résoluble par l’école ) ou contribue-t-elle à l’accentuer ?
retour…
Comment des idées aussi saugrenues peuvent naître dans le cerveau d’un ZIL ?
Il suffit d’un cas plus significatif que d’autres pour qu’il n’entame
une « réflexion professionnelle ». En tout cas, ce qui frappe
d’ordinaire, c’est l’implacable fatalité sociale qui ressort d’un
balancement entre une ZEP et d’autres aires. Non pas qu’on ne puisse
pas trouver à la campagne, par exemple, de hauts faits de détresse
scolaire et sociale, mais il résulte de ces allers-retours une morale
fidèle à la statistique : la comparaison objective des nombres
suffit à la soutenir.
On rencontre ainsi des dizaines d’enfants qui vivent et travaillent à
moins de cinq kilomètres les uns des autres. On vit avec eux, on les
observe et on comprend que la grande majorité de ces enfants ne se
croisera jamais. Déjà, ils ne marchent pas dans les mêmes rues, dans
les mêmes centres commerciaux et ne roulent, le cas échéant, pas dans
les mêmes voitures. Ils se rencontrent que rarement sur leurs lieux de
vacances, s’ils partent ailleurs que chez des parents, sur les plages
ou dans les stations de ski. On est obligé de prévoir un avenir
identique : certainement pas le même pouvoir d’achat, pas le même
travail valorisant et les mêmes dépendances.
Ce qui rend amer, c’est de vérifier qu’une séance identique dans une
moyenne section de centre ville ou de zone pavillonnaire ne peut être
proposée qu’à une grande section de ZEP. Dans certaines classes
élémentaires de banlieue, le cafard vient quand on voit la lutte
nécessaire à la simple copie de la date. Dès le début, le combat
s’engage entre l’énergie de l’adulte et l’inertie de l’enfant, sachant
que le terme « inertie » est un euphémisme. Bien sûr, on
trouve intérêt aux uns comme aux autres, on sait à qui on apporte le
plus, on sait où l’on trouve un plaisir supérieur à susciter l’envie
d’apprendre, on sait où l’on attend davantage de vous pour pouvoir vous
donner plus ensuite. Mais ce défi est usant, il réclame une énergie et
un doute permanents, en sachant que certaines enfants ne consentiront
pas, n’accepteront pas, que toute l’année, ils joueront à qui perd
gagne.
C’est ainsi que je rencontre Jason, avec déjà, puisqu’il faut prononcer
le patronyme à « l’américanaise », la conscience d’un indice.
Il paraît égaré dans cette classe de moyens quand j’y arrive à la
toussaint pour faire l’année entière avec eux. J’apprends dans la
foulée qu’on évalue en décembre, de concert avec l’autre moyenne
section. Il paraît perdu car ce sont d’excellents élèves dans une école
de centre ville. Alors qu’il se fondrait dans le groupe en d’autres
lieux, il se remarque immédiatement. Dans les activités purement
scolaires, la différence est criante entre lui et les autres.
Ce qui est intéressant dans son cas, c’est sa délocalisation. Il est
représentatif des difficultés incompressibles rencontrées en ZEP mais
il baigne dans une population qui ne lui ressemble absolument pas.
C’est un indien dans la ville, mais un indien qui n’aurait rien appris
dans sa forêt. Tout ce qui peut apparaître dans une comparaison
chiffrée, les évaluations nationales en CE2, ou qui apparaîtrait si
elles se faisaient également, comme il en est question, en grande
section, est directement perceptible. Quand les deux milieux sont
séparés, ni les enfants, ni les enseignants, ni les parents ne peuvent
relativiser les résultats enregistrés. Ce qui importe dans son cas,
c’est de savoir s’il profite d’une remédiation après la constatation de
ses manques. Car les autres étant généralement autonomes, ils laissent
la latitude de travailler seul avec Jason.
En décembre, sur les vingt-deux enfants ( classe peu chargée ! ),
deux ne sont pas arrivés à écrire leur prénom en lettres capitales lors
des évaluations. L’autre enfant est remis illico dans le droit chemin
par ses parents sans que j’aie eu à réagir, sans avoir cherché ou même
songer à les contacter pour les en avertir spécialement. J’en conclus
qu’ils se sont informés d’eux-mêmes.
J’avoue avoir échoué. A la fin de l’année, Jason, malgré moult
tactiques, formait encore une fois sur deux le « J » à
l’envers. Sur cinq lettres, on peut quand même calculer un magnifique
90% à la compétence afférente. Mais ses collègues de bureau avaient
continué leur chemin, ils écrivaient tout ou partie des prénoms de la
classe. Cette différence entre lui et les autres se retrouvait sur
toutes les compétences.
En maternelle, les évaluations fonctionnent à la manière d’un carcan de
programmation. En regard des compétences évaluées en fin de période, on
établit une progression visant des objectifs. Il est évident que ces
objectifs sont devenus de plus en plus ambitieux durant ces vingt
dernières années. En fait, on exige davantage et plus tôt au lieu de
simplement préparer l’apprentissage de la lecture. Cela peut se
réaliser dans certaines écoles, mais dans d’autres, on doit rester plus
modeste. Sur ce que j’ai pu observer, il existe un grand décalage entre
les unes et les autres. Et dans les diverses statistiques publiées sur
l’inégalité de la réussite scolaire, rien n’infirme cette observation.
retour…
6. De l’usage politique du système éducatif :
Que
dit-on à l’opinion ? On lui dit que le niveau baisse et qu’on va
revenir sur le « lire, écrire, compter ». L’orthographe,
« la science des ânes », en particulier, est stigmatisée à
ce propos. On a tort dans le sens ou celle qui est pratiquée
aujourd’hui l’est auprès de 100% d’une classe d’âge et de manière plus
circonstanciée. On a tort dans le sens où les enfants et la société ont
changé : on ne peut pas hurler tous les ans à la réforme et
vouloir faire revenir l’école de papa et grand-papa. Mais dans cette
affaire, la chèvre et le chou doivent être conciliés. D’un côté, on
n'affichera jamais une baisse des ambitions classiques sur le
« socle », de l’autre on appuiera vers les nouveaux contenus
dont on retient la langue étrangère et l’informatique. Mais ces
contenus, déjà présents dans les instructions de 2002, ne sont pas
évalués au plan national, pas plus que l’expression orale, l’EPS, les
arts plastiques et les longs palabres qui, dans toutes les classes, se
chargent d’harmoniser le « vivre ensemble ». On considère
qu’ils sont, comme d’autres éléments méthodologiques, réinvestis et
recyclés, qu’ils profitent à la base historiquement classique des
connaissances.
L’évaluation procède en politique éducative de la même logique que la
création d’une commission ou d’un « haut »-conseil. C’est
aussi un instrument de communication. Ce que nous devons faire dans une
classe découle des objectifs d’un gouvernement qui communique à ses
administrés.
C’est certes présomptueux pour un simple dossier d’étaler une telle
grandiloquence. Pourtant, en ce qui me concerne, lorsque mon attention
est attirée par un fait rencontré dans une classe et que je tire
jusqu’au bout la ficelle du raisonnement induit sans la casser, c’est
le genre de pelote qui m’arrive dans les mains, avec ou sans discussion
avec des collègues.
Nous avons l’échec mais ne voulons pas dire que nous avons de mauvais
élèves. Le « mauvais élève » du système éducatif ressemble
beaucoup au pauvre du système économique : il est assisté, dit-on,
mais jamais on osera le qualifier d’incompétent, selon des critères
strictement économiques. En quoi l’école pourrait réussir là où la
société échoue ? Où est la réduction de la fracture sociale ?
Où est la mixité sociale dans les écoles ? Où est l’égalité des
chances dans le système éducatif ?
Notre monde se détourne des choses dérangeantes, il médiatise à
outrance la compétition et laisse penser qu’elle est conciliable avec
une morale indolore, sans bons ni méchants, sans échec aucun, sans la
moindre condamnation ni la moindre exclusion. De la même manière, on
peut laisser croire qu’évaluer en maternelle n’a pas d’inconvénients et
n’induit pas une hausse trop ambitieuse du niveau d’exigence.
Jérôme Bouchillou © mai 2005
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