ÉDUCATION NATIONALE :
LES PERVERSIONS DE L'ÉVALUATION






Évaluation en Moyenne Section :

Précocité d’une exigence sélective ou instrument de remédiation anticipative ?
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Comment la politique éducative d’un état est conforme à sa politique générale.
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«  L’école est bien davantage malade de la société que la société ne l’est de l’école. »

Hannah Arendt

« Il y a trois métiers impossibles qui ne seront jamais considérés comme satisfaisants : l’analyse, la politique et l’éducation. »

Sigmund Freud.

Tout acte accompli dans une classe ne peut se considérer comme un élément purement technique, découlant d’une pédagogie déconnectée de la société. La vision de l’enfant que l’école développe évolue avec celle que la société entretient à son égard. Elle n’a rien de neutre, constant et désintéressé. En dernière analyse, le fondement d’un choix pédagogique s’opère sur des valeurs et une philosophie appartenant au débat politique.
L’enseignant vit avec son époque et en transmet l’évolution, en partie malgré lui et de manière inconsciente. L’évaluation est un outil exemplaire à ce titre car il traduit la contradiction d’une réalité toujours élitiste habillée par un discours égalitaire. Si, apparemment, on est passé en trente-cinq ans de la note-sanction à une évaluation diversifiée dans le but louable de mesurer pour remédier ou anticiper, à la sortie du système, on constate une imperméabilité sociale réitérée.
L’évaluation s’est amplifiée et compliquée, mais aussi intervient de plus en plus précocement. Cette précocité pourrait nuire à l’égalité des chances qu’on prétend offrir dans un monde de compétition économique forcenée.
C’est à travers la chronologie de l’évaluation qu’on peut retrouver la contradiction entre l’aide et l’exigence, entre le tri social et l’épanouissement de l’être, entre un outil et ses effets pervers.

Plan du dossier :

1. La révolution copernicienne

2. Les nouveaux enjeux

3. Les défis de la lecture

4. La mise à sac du Palais d’hiver

5. Le cas Jason

6. De l’usage politique du système éducatif.

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1. La révolution copernicienne :

Le thème général de ce dossier correspond à mon expérience professionnelle. Depuis 1985, je suis ZIL et mon rattachement est en ZEP ( banlieue ), ce qui ne m’empêche pas d’intervenir en centre ville ou à la campagne. Cette variété, structurée par de longs remplacements de la Petite Section au CM2, m’a amené à me demander ce que chaque niveau, ce que chaque classe, ce que l’ensemble des écoles fréquentées avait de commun.
Car, au cas par cas, chaque enseignant est un véritable artisan. Il existe une multiplicité de techniques dont je retire des leçons à chaque fois. Plutôt que d’aborder une thématique mono ou pluri-disciplinaire, ou encore transversale, j’ai préféré évoquer un sujet sensible car récurrent dans les animations pédagogiques, les conversations entre collègues. L’évaluation est au cœur de toutes les préoccupations, convergence conflictuelle entre le Ministère et ses employés, entre la société et son école, entre une réalité et son reflet.
En premier lieu, elle s’observe chronologiquement.
La note correspondait à une société où chacun était à sa place, les bons et les mauvais élèves, au travers d’une autorité immuable et d’un enseignement tout aussi frontal qu’indifférencié, voué, au stricto sensu, à la transmission de savoirs plus concentrés et moins diversifiés qu’aujourd’hui.
Mai 68 remit en cause cet enseignement, tout comme il changea les mentalités. Dans l’école, il procéda à la manière d’une révolution de l’astrophysique. L’enfant serait enfin au centre du système, et non le tout-puissant savoir de l’ordre aristotélicien. On brûla l’ancien temple et on piocha dans d’autres livres la sainteté de nouvelles écritures. Les mathématiques devinrent modernes, le français se tourna davantage vers l’expression, la lecture au CP cassa ses briques syllabiques pour chercher ou retrouver d’autres formules, dites globales et naturelles. La leçon de choses s’orienta vers la démarche d’éveil, souvent couplée avec le travail de groupe. On assista à un vaste dépoussiérage de la vieille école. La disparition de l’estrade marqua le changement du rapport maître-élève. L’enseignant ne devait plus être retranché dans sa classe comme un assiégé de Fort Alamo, il échangeait avec ses collègues, comme l’élève avec les autres élèves. Ce legs de l’histoire est toujours vivant, on en trouve un écho critique dans la lettre de Luc Ferry « à tous ceux qui aiment l’école ». Est-ce pour autant une raison pour en faire le procès ?
Certes, cette époque concourait à construire l’idée d’un enfant-roi, vis-à-vis duquel les adultes ne voulaient plus assumer la part culpabilisante que recèle toute autorité, dès l’instant où elle s’affirme comme indiscutable. Elle est d’ailleurs toujours présente dans le discours officiel sur la sanction à l’école. Mais dans les années soixante-dix, l’école devait suivre le mouvement souhaité par la société, un mouvement vers une forme de libération et d’émancipation, à la fois psychologique et sociale. Avec un demi-million de chômeurs, il ne s’agissait pas encore de viser un niveau global de résultats. La réussite, de façon subliminale, serait à l’image des libres enfants de Summer Hill, promus balayeurs heureux et non condamnés à être des businessmen malheureux.
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2. Les nouveaux enjeux :

Au début des années quatre-vingts, la crise économique commença à resserrer les enjeux de l’école. On décréta en objectif national les 80% au niveau du BAC, la nécessité de qualifications poussées se faisant sentir. Plus largement, l’image de la réussite redevint matérialiste, ce furent les années de la bourse et de la réhabilitation des valeurs de l’entreprise. Le mot évaluation pointa, justement hérité de l’entreprise, qui aujourd’hui parle d’audit.
Dans les classes primaires, on associa à cet objectif national une stratégie savante qui voyait l’enfant, curieux par nature, faire des hypothèses par le biais d’un questionnement judicieusement guidé pour aboutir à la découverte de la notion. Cette démarche dut alors s’étendre à toutes les matières, sachant que l’enseignant devait savoir transiger et aller plus directement au but si besoin était. Les acquis étaient désormais de deux ordres : savoirs et savoir-faire.
Au bout des trimestres, plantées comme des phares aveuglants au milieu de la nuit, les évaluations se dressaient, non plus comme des barrières mais déjà comme un instrument de mesure de plus en plus complexe. Les notes étaient proscrites mais pratiquées, les lettres capitales remplaçaient de temps en temps les appréciations sur les cahiers.
Les méthodes évoluèrent, les contenus s’enrichirent. Cependant, si on assista à un constant développement horizontal des contenus, la profondeur, la verticalité des notions premières de l’enseignement primaire ne fut jamais réduite symétriquement. Ce développement fut horizontal à la fois pour la quantité de matières, mais aussi pour le traitement de chaque notion qui sollicita de plus en plus l’adaptabilité à des consignes et non la répétition d’exercices stéréotypés. Cette tendance s’accentua à la fin des années quatre-vingts et depuis, elle n’a fait que s’accélérer.
Le niveau d’exigence, pour les matières dites « fondamentales », baissa très peu. Jamais on expliqua comment faire plus avec une durée de temps de classe identique. On préféra le faire croire par une sorte d’omission. Les compétences qualitativement maximales furent toujours visées et on s’étonna que le pourcentage d’élèves les atteignant diminuait.
On créa la DESP, devenue DEP, direction des évaluations et de la prospective, les évaluations nationales apparurent. Inévitablement, elles montrèrent des difficultés en lecture et à l’écrit. Il se disait à l’époque qu’un redoublant de CP avait 93% de probabilités de ne pas arriver au BAC. Le chômage croissant, il commença à s’établir un lien solide entre l’échec scolaire et la difficulté à trouver un emploi. Les filières se multipliaient, les cursus s’allongeaient, mais les cycles économiques sont plus courts que les cycles scolaires. Clairement, l’école devait s’adapter à la demande.
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3. Le défi de la lecture :

Avec, en amont, une maternelle créative et reconnue internationalement, et, en aval, le collège unique où se cristallisent bientôt tous les échecs toutes les rancœurs, l’école élémentaire ne pouvait réussir l’impossible transition. Elle allait ainsi se retrouver coincée entre l’égalitarisme et l’élitisme, entre le développement consenti et harmonieux de l’enfant et son calibrage social.
On va tout tenter pour faire reculer le spectre de l’illettrisme, volontiers brandi par les pourfendeurs du mammouth. Dans les années quatre-vingt-dix, tout sera tenté ; le projet sera requis à tous les niveaux, décliné de l’équipe pédagogique jusqu’à l’enfant seul, à travers une pédagogie définie comme « différenciée ». Ce qui aboutit aujourd’hui à la création des PPAP et du livret scolaire.
La gestion de classe devient celle d’un groupe-classe à géométrie variable : groupes de besoin, groupes de soutien dans et hors du temps scolaire, demi-groupes langue, informatique, décloisonnements, etc.
Pour la lecture, on continuera à fouiller d’abord au CP vers des méthodes plus globales, chargées en théorie de sens, d’envie et de motivation. Le mot « méthode » lui-même ne possède-t-il pas une connotation de technique imparable et donc de remède définitif ?
La BCD, rentrée dans les murs de l’école, sera le centre du monde, on y apprendra la marguerite et son code. Dans la classe, tous les types et supports d’écrits sont abordés et créés également. On instaure le défi-lecture comme on décrète la lecture-plaisir. Inutile d’essayer d’établir une liste exhaustive, la lecture processionnaire est bien morte.
Les cycles sont mis en place. Il est important que l’apprentissage de la lecture soit étalé sur trois ans. Concrètement, un enfant ira au CE1 malgré une lecture défaillante. Normalement, on doit parvenir à le raccrocher au train sans retards « collatéraux ».
L’évaluation suit cet élan de ramification tous azimuths. Les compétences se subdivisent à l’infini, les scores supplantent les notes, on s’arme de trois feutres et on colore. L’enseignant rechigne, il est devenu un scribouillard. De plus, il faudrait évaluer sur cinq périodes ; est-ce que cet exercice fastidieux, bâti sur des tableaux élégants qu’on arbore fièrement, apporte tous les fruits attendus ?
Car les scores ont la vertu de finir en pourcentages, et les pourcentages en bilan.
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4. La mise à sac du Palais d’Hiver :

Il était une fois un pays étrange où les enfants ne comptaient que sur deux mains, modelaient et pataugeaient à leur aise, créaient en permanence, dessinaient au lieu d’écrire et n’ouvraient les livres que pour se les raconter. Leurs menus travaux étaient compilés, collés et donnés régulièrement aux familles qui ne pouvaient que s’en féliciter. Leur seul crainte résidait dans le rangement de ces volumineuses créations.
Cette maternelle ressemblait à un palais oublié par la révolution post-industrielle. Le défi de la lecture exigeait donc qu’elle changeât de philosophie, même si cette révision ne fut jamais annoncée. Elle s’opéra implicitement, comme dans la continuité d’un mouvement naturel.
En ce lieu, la rationalisation comptable qu’entraîne l’application d’un mode d’évaluation jusqu’alors réservé à l’élémentaire représente un changement radical et concentre davantage toutes les contradictions existant entre un discours de bienfaits respectueux de l’enfant et d’exigences accrues à son endroit.
La pré-lecture est devenue lecture, idem pour les pré-mathématiques devenues mathématiques. Les rites quotidiens sont désormais de purs moments d’apprentissage, d’imprégnation et de vérification de ceux-ci. Les notions auparavant diluées et mûries lentement pointent nettement et durement. L’enfant comprend très précisément qu’il est en situation de performance attendue, y compris vis à vis de ses camarades et de ses parents.
La Grande Section se transforme en prépa-CP. On photocopie tout autant qu’à l’élémentaire. Le remplaçant n’est plus perdu dans un amoncellement de productions d’art plastique à la cohérence hiéroglyphique ( seul le maître, souvent maîtresse-céans, sait, avec son assistante parfois, traduire son code ). Il puise dans les fichiers, dont certains étaient utilisés peu de temps avant en CP. Il est rassuré, mais par contre, le temps s’est compressé. Les échéances succèdent aux échéances. A la journée, il organise ses rotations et les ateliers libres ne sont plus légion. Il faut finir sa tâche. Dès lors, on souffre de «  zeinot », l’asphyxie du joueur d’échec face l’horloge. Comme en élémentaire, il court contre le temps, mais en plus, doit répondre aux canons historiques de la maternelle, les fêtes sont marquées. Elles sont sources de projets, dont des représentations en cercle élargi, mais doivent se boucler avec des évaluations. La « japonisation » larvée guette cette école. Mais comme elle ne correspond pas à notre modèle de société, sa vérité dérangeante n’est ni regardée ni évoquée.
Le problème de la lecture avait engendré une étude de ses causes. On avait constaté la présence précoce de lacunes. Il avait paru alors indispensable de réformer pour cadrer la maternelle. Plus grave, on avait décelé un problème de langue, tout simplement. L’opportunité de scolariser le plus tôt possible, dès deux ou trois ans fut mise en avant. Il est évident que la majorité des difficultés sur la langue se situent géographiquement là où les enquêtes de rentrée, qui collectent désormais les Catégories Socio-Professionnelles, relèvent le chômage, la pauvreté, et majoritairement, une langue maternelle différente du français. Une langue mal maîtrisée diffuse ensuite ses poisons associés dans toutes les disciplines abordées et plus particulièrement celles engageant l’écrit : lecture haute voix, compréhension, respect du code. Tout ce qui sert de patte blanche pour passer le seuil de la réussite sociale dans une économie fournissant de moins en moins d’emploi très peu qualifié, dans une société où paradoxalement, l’écrit impose toujours sa loi malgré le règne apparent de l’image, qu’il soit script de fiction, corpus législatif, documents bancaires ou administratifs.
Mais la solution préconisée en maternelle, c’est à dire, évaluer comme en élémentaire, contribue-t-elle à résoudre le problème ( s’il est résoluble par l’école ) ou contribue-t-elle à l’accentuer ?
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5. Le cas Jason :

Comment des idées aussi saugrenues peuvent naître dans le cerveau d’un ZIL ?
Il suffit d’un cas plus significatif que d’autres pour qu’il n’entame une « réflexion professionnelle ». En tout cas, ce qui frappe d’ordinaire, c’est l’implacable fatalité sociale qui ressort d’un balancement entre une ZEP et d’autres aires. Non pas qu’on ne puisse pas trouver à la campagne, par exemple, de hauts faits de détresse scolaire et sociale, mais il résulte de ces allers-retours une morale fidèle à la statistique : la comparaison objective des nombres suffit à la soutenir.
On rencontre ainsi des dizaines d’enfants qui vivent et travaillent à moins de cinq kilomètres les uns des autres. On vit avec eux, on les observe et on comprend que la grande majorité de ces enfants ne se croisera jamais. Déjà, ils ne marchent pas dans les mêmes rues, dans les mêmes centres commerciaux et ne roulent, le cas échéant, pas dans les mêmes voitures. Ils se rencontrent que rarement sur leurs lieux de vacances, s’ils partent ailleurs que chez des parents, sur les plages ou dans les stations de ski. On est obligé de prévoir un avenir identique : certainement pas le même pouvoir d’achat, pas le même travail valorisant et les mêmes dépendances.
Ce qui rend amer, c’est de vérifier qu’une séance identique dans une moyenne section de centre ville ou de zone pavillonnaire ne peut être proposée qu’à une grande section de ZEP. Dans certaines classes élémentaires de banlieue, le cafard vient quand on voit la lutte nécessaire à la simple copie de la date. Dès le début, le combat s’engage entre l’énergie de l’adulte et l’inertie de l’enfant, sachant que le terme « inertie » est un euphémisme. Bien sûr, on trouve intérêt aux uns comme aux autres, on sait à qui on apporte le plus, on sait où l’on trouve un plaisir supérieur à susciter l’envie d’apprendre, on sait où l’on attend davantage de vous pour pouvoir vous donner plus ensuite. Mais ce défi est usant, il réclame une énergie et un doute permanents, en sachant que certaines enfants ne consentiront pas, n’accepteront pas, que toute l’année, ils joueront à qui perd gagne.
C’est ainsi que je rencontre Jason, avec déjà, puisqu’il faut prononcer le patronyme à « l’américanaise », la conscience d’un indice. Il paraît égaré dans cette classe de moyens quand j’y arrive à la toussaint pour faire l’année entière avec eux. J’apprends dans la foulée qu’on évalue en décembre, de concert avec l’autre moyenne section. Il paraît perdu car ce sont d’excellents élèves dans une école de centre ville. Alors qu’il se fondrait dans le groupe en d’autres lieux, il se remarque immédiatement. Dans les activités purement scolaires, la différence est criante entre lui et les autres.
Ce qui est intéressant dans son cas, c’est sa délocalisation. Il est représentatif des difficultés incompressibles rencontrées en ZEP mais il baigne dans une population qui ne lui ressemble absolument pas. C’est un indien dans la ville, mais un indien qui n’aurait rien appris dans sa forêt. Tout ce qui peut apparaître dans une comparaison chiffrée, les évaluations nationales en CE2, ou qui apparaîtrait si elles se faisaient également, comme il en est question, en grande section, est directement perceptible. Quand les deux milieux sont séparés, ni les enfants, ni les enseignants, ni les parents ne peuvent relativiser les résultats enregistrés. Ce qui importe dans son cas, c’est de savoir s’il profite d’une remédiation après la constatation de ses manques. Car les autres étant généralement autonomes, ils laissent la latitude de travailler seul avec Jason.
En décembre, sur les vingt-deux enfants ( classe peu chargée ! ), deux ne sont pas arrivés à écrire leur prénom en lettres capitales lors des évaluations. L’autre enfant est remis illico dans le droit chemin par ses parents sans que j’aie eu à réagir, sans avoir cherché ou même songer à les contacter pour les en avertir spécialement. J’en conclus qu’ils se sont informés d’eux-mêmes.
J’avoue avoir échoué. A la fin de l’année, Jason, malgré moult tactiques, formait encore une fois sur deux le « J » à l’envers. Sur cinq lettres, on peut quand même calculer un magnifique 90% à la compétence afférente. Mais ses collègues de bureau avaient continué leur chemin, ils écrivaient tout ou partie des prénoms de la classe. Cette différence entre lui et les autres se retrouvait sur toutes les compétences.
En maternelle, les évaluations fonctionnent à la manière d’un carcan de programmation. En regard des compétences évaluées en fin de période, on établit une progression visant des objectifs. Il est évident que ces objectifs sont devenus de plus en plus ambitieux durant ces vingt dernières années. En fait, on exige davantage et plus tôt au lieu de simplement préparer l’apprentissage de la lecture. Cela peut se réaliser dans certaines écoles, mais dans d’autres, on doit rester plus modeste. Sur ce que j’ai pu observer, il existe un grand décalage entre les unes et les autres. Et dans les diverses statistiques publiées sur l’inégalité de la réussite scolaire, rien n’infirme cette observation.
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6. De l’usage politique du système éducatif :

Que dit-on à l’opinion ? On lui dit que le niveau baisse et qu’on va revenir sur le « lire, écrire, compter ». L’orthographe, «  la science des ânes », en particulier, est stigmatisée à ce propos. On a tort dans le sens ou celle qui est pratiquée aujourd’hui l’est auprès de 100% d’une classe d’âge et de manière plus circonstanciée. On a tort dans le sens où les enfants et la société ont changé : on ne peut pas hurler tous les ans à la réforme et vouloir faire revenir l’école de papa et grand-papa. Mais dans cette affaire, la chèvre et le chou doivent être conciliés.
D’un côté, on n'affichera jamais une baisse des ambitions classiques sur le « socle », de l’autre on appuiera vers les nouveaux contenus dont on retient la langue étrangère et l’informatique. Mais ces contenus, déjà présents dans les instructions de 2002, ne sont pas évalués au plan national, pas plus que l’expression orale, l’EPS, les arts plastiques et les longs palabres qui, dans toutes les classes, se chargent d’harmoniser le « vivre ensemble ». On considère qu’ils sont, comme d’autres éléments méthodologiques, réinvestis et recyclés, qu’ils profitent à la base historiquement classique des connaissances.
L’évaluation procède en politique éducative de la même logique que la création d’une commission ou d’un « haut »-conseil. C’est aussi un instrument de communication. Ce que nous devons faire dans une classe découle des objectifs d’un gouvernement qui communique à ses administrés.
C’est certes présomptueux pour un simple dossier d’étaler une telle grandiloquence. Pourtant, en ce qui me concerne, lorsque mon attention est attirée par un fait rencontré dans une classe et que je tire jusqu’au bout la ficelle du raisonnement induit sans la casser, c’est le genre de pelote qui m’arrive dans les mains, avec ou sans discussion avec des collègues.
Nous avons l’échec mais ne voulons pas dire que nous avons de mauvais élèves. Le « mauvais élève » du système éducatif ressemble beaucoup au pauvre du système économique : il est assisté, dit-on, mais jamais on osera le qualifier d’incompétent, selon des critères strictement économiques. En quoi l’école pourrait réussir là où la société échoue ? Où est la réduction de la fracture sociale ? Où est la mixité sociale dans les écoles ? Où est l’égalité des chances dans le système éducatif ?
Notre monde se détourne des choses dérangeantes, il médiatise à outrance la compétition et laisse penser qu’elle est conciliable avec une morale indolore, sans bons ni méchants, sans échec aucun, sans la moindre condamnation ni la moindre exclusion. De la même manière, on peut laisser croire qu’évaluer en maternelle n’a pas d’inconvénients et n’induit pas une hausse trop ambitieuse du niveau d’exigence.

Jérôme Bouchillou © mai 2005

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