Dans le numéro 92 (juin 2006) de ce
bulletin, nous avions raconté dans quelles circonstances un avion
britannique, de type « Halifax », s'était écrasé dans un
champ, au Groslaud, près de Chabanais, le 10 mai 1944.
Ses 7 occupants avaient réussi à sauter en parachutes près de
Rochechouart, avant que l'appareil, en panne de deux moteurs, ne
s'écrase quelques kilomètres plus loin, sans personne à bord.
Nous avions aussi raconté ce qu'il était advenu à l'un des aviateurs,
l'officier canadien D.A. Lennie, affreusement torturé par les SS et la
Gestapo, mais qui avait réussi in extremis à s'évader de sa prison
toulousaine. ( numéros 124-125 et 126-décembre 2014-mars 2015, de ce
bulletin)
Le sort du sergent Clark, qui s'était cassé une jambe en atterrissant,
était aussi connu : il avait été contraint de se constituer
prisonnier à la gendarmerie de Saint-Laurent-sur-Gorre, et avait été
déporté au stalag Luft 7 de Bankau en Allemagne, comme prisonnier de
guerre.
Cependant, pour les 5 autres membres d'équipage, nous n'avions jusqu'à
présent que des renseignements succincts sur la manière dont ils
avaient pu regagner l'Angleterre.
Or, récemment, un citoyen britannique résidant dans le Suffolk, Alan
Latter, historien amateur passionné par l'histoire de la Résistance en
Charente et en Dordogne, nous a contacté et nous a très aimablement
fourni des documents et des photos très rares qui vont nous permettre
de retracer par le détail et l'image, l'épopée de nos 5 aviateurs, de
leur départ de l'aérodrome de Tempsford à leur retour en Angleterre,
près de quatre mois après.
Les documents proviennent des archives nationales du Royaume-Uni et du
blog d'Alan Latter :
Les photos appartiennent à David Blackett, fils d'un des
aviateurs (le sergent Harold Blackett) qui les a soigneusement
conservées et nous a aimablement permis de les reproduire. Il est venu
récemment en « pèlerinage », accompagné de son fils Stuart,
très ému, sur les lieux du crash puis il est allé là où son père avait
été recueilli par les Maquis.
L'équipage
au complet avant le départ de Tempsford.
Sont identifiés, de gauche à droite au premier rang, les sergents
anglais Blackett, Clark et Jones.
À l'arrière les 4 officiers canadiens. Impossible de mettre un nom sur
leurs visages.
Les rapports d'évasion de
France vers l'Angleterre, conservés aux archives nationales du
Royaume-Uni, nous renseignent d'abord sur l'état-civil des 5 aviateurs
dont nous allons suivre les péripéties. Il s'agit des officiers
canadiens dont les noms suivent :
- Alfred Stanley Coldridge, né
le 1er juin 1919, engagé dans la RAF le 4 juin 1940, ancien reporter,
résidant à Port-Arthur (Ontario). C'est le pilote et commandant de bord
du Halifax.
- Harry Delbert Medland, né le
6 octobre 1916, engagé dans la RAF en 1942, ancien représentant en
chaussures, résidant à Oshawa (Ontario). Il est opérateur radio.
- Richard Charles Evans, né le
4 décembre 1916, engagé dans la RAF le 10 décembre 1941, ancien
inspecteur de la santé, résidant à Toronto (Ontario). Il est bombardier.
Les sous-officiers anglais sont :
- Sergent Edward Jones, né le
25 octobre 1911, engagé dans la RAF depuis le 23 mai 1940, ancien
ouvrier en chaussures, résidant à Burnley (Lancaster). Il est
mécanicien.
- Sergent Harold Blackett, né
le 6 décembre 1923, engagé dans la RAF depuis le 28 avril 1942, ancien
maçon, résidant à Bishop Auckland ( Durham). Il est mitrailleur.
Deux
amis avant le départ de Tempsford: les sergents « Ron » Clark
et « Harry » Blackett
Evans, Jones et Blackett déposent
qu'ils sont partis de Tempsford sur un Halifax à 22 h 45 le 9 mai 1944,
qu'ils ont été obligés de sauter en parachute et qu'ils ont atterri
près de Saint-Laurent-sur-Gorre, à une dizaine de km à l'Est de
Rochechouart.
Coldridge et Medland, qui ont été les derniers à quitter l'avion en
tant que pilote et radio, disent qu'ils ont atterri à 3 h du matin, le
10 mai, à 2 km à l'Est de Rochechouart.
Après avoir enterré leurs parachutes et leurs « Mae-West »
(gilets de sauvetage), certains se regroupent rapidement : c'est
le cas de Jones et Blackett d'une part , de Coldridge et Medland de
l'autre. Seul Evans va rester pour un temps isolé, comme l'ont été
leurs collègues Lennie et Clark dont ils n'auront plus de nouvelles.
Evans raconte : « Après avoir marché toute la nuit,
j'ai contacté un garde du Maquis qui m'a emmené à son camp où je
suis resté 6 jours ». Jones et Blackett se
souviennent : « Nous avons
marché vers le Sud. Nous étions obligés d'aller lentement car le
sergent Blackett s'était blessé à la hanche en atterrissant. Nous avons
marché 3 jours et 3 nuits et nous avons frappé à une ferme qui se
trouva être le PC du Maquis ». Plus tard, H. Blackett
apportera des précisions: il avait caché son parachute sous un tas de
fumier après en avoir coupé un morceau pour s’en couvrir. Lui et son
camarade marchaient, surtout la nuit, dans une rivière, et dormaient le
jour. Entendant aboyer des chiens, ils craignaient que les Allemands
soient à leur poursuite. Près d’un puits, ils rencontrent une
« très belle » jeune femme . Elle se trouve être la belle-
fille du chef du Maquis (Augustin Legay, sous-lieutenant
« Max » du maquis de Châlus) et elle les conduit à son
beau-père, qui, méfiant, craignant un piège, fouille leurs vêtements et
y trouve un ticket de bus anglais. Après vérification par radio à
Londres, il les accueille. Cette jeune femme se prénommait Jeannine. (H. Blackett, après la guerre, prénommera sa fille Janine, en
souvenir...)
Jones et Blackett poursuivent : « Nous
avons été arrêtés et interrogés, et après avoir passé la nuit, nous
avons été conduits au camp où nous avons retrouvé l'officier
Evans ». Ce dernier confirme : « J'ai appris que deux membres de
mon équipage, Jones et Blackett, étaient dans les parages. Le Maquis
les emmena dans notre camp ». Les voici donc tous les trois
réunis !
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