Après les régimes totalitaires qui ont entaché le monde au XXe
siècle, du marxisme au nazisme avec leurs ramifications, leurs
nombreuses déclinaisons et leurs cortèges
d’abominations — qui sont chiffrées en dizaines de millions
de morts, excusez du peu ! — notre siècle doit faire face à
une nouvelle forme de dictature. C’est un signe des temps ; alors
qu’après la chute du mur de Berlin, dans nos sociétés modernes et à peu
près démocratiques, on aurait pu se croire débarrassé de tout
absolutisme, une forme de despotisme est apparue qui s’insinue
sournoisement à travers les médias : la dictature de
l’esprit, la manipulation des idées à travers des concepts
égalitaristes d’un progressisme à la mords-moi-le nœud.
De jeunes générations sans scrupule, sans grande
intelligence non plus, et surtout sans culture historique, prétendent
faire table rase du passé en balayant ce qui a constitué l’essence même
de toute civilisation d’un grand revers de manche, en faisant fi des
traditions. On est à l’heure de la mondialisation heureuse : tout
ce qui a existé auparavant est par eux considéré comme nul et non
avenu. On tire un rideau noir sur ces centaines de générations qui, bon
an mal an, au cours des siècles, se sont sacrifiées — ou ont été
sacrifiées — pour l’unité d’un pays. On appelle ça « la
culture de l’effacement », bien que le substantif opposé (à savoir
inculture) semble mieux approprié.
Les causes en sont profondes et multiples. L’école y
est pour beaucoup et les incessantes réformes de l’après 68 n’y sont
pas étrangères. Le formidable concept des pédagogistes de tout poil
étant de mettre l’enfant au cœur de tout apprentissage, ces zélateurs
aussi irrationnels qu’inconséquents ont condamné la connaissance en ce
qu’elle a de plus noble, engendrant de fait un holocauste intellectuel
et considérant comme suspect tout savoir positif. Les responsables n’en
sont pas nécessairement les enseignants. Même si un bon nombre d’entre
eux se sont engouffrés dans la brèche — avaient-ils le
choix ? —, d’autres ont fait de la résistance passive,
montrés du doigt et désignés comme boucs émissaires d’une transition
idéologique qui peinait à se réaliser. Non, les véritables responsables
sont bien les décideurs, c’est-à-dire et comme toujours ceux qui n’y
connaissent rien.
Le terme même d’Éducation nationale qui a succédé à
l’Instruction publique est assez révélateur : les connotations
auxquelles renvoient ces appellations montrent s’il en était besoin le
changement de paradigme. Ainsi, le rôle d’éducation auparavant réservé
à la sphère familiale s’est reporté sur l’enseignement, et la
perversité aidant, l’imprégnation graduelle au fil des ans a conduit
les parents à tout attendre de l’école et donc à se décharger sur
celle-ci de leur devoir éducatif.
Grosso modo, l’enfant doit découvrir par lui-même et
en un temps record ce que les générations de demeurés que j’évoquais
précédemment ne sont pas parvenues à découvrir en des centaines
d’années. Il faut le conforter dans cet état qu’il est indubitablement
un génie, de sorte qu’en grandissant et se positionnant au centre de
telles certitudes, il ne considère plus désormais le monde que comme
une extension de sa personnalité, de son ego et donc de sa
volonté. On apprécie le résultat.
Moyennant quoi, le vivier s’est tari, puis peu à peu
a cédé la place à une fange nauséeuse dans laquelle nos chérubins
pataugent lamentablement… On le constate encore à travers notre langue
attaquée de toutes parts et torturée dans ses valeurs, dans sa
dimension poétique ou ce qu’il en reste et qui se cantonne dans une
pauvreté sans nom. On appelle ça « la culture » paraît-il :
cette paupérisation qui réduit une partie de plus en plus grande de la
population à un vocabulaire de quelques centaines de mots. Je fus
témoin de ce temps où l’on s’efforçait à bien écrire (sans
inclusivité !) et à correctement s’exprimer, un temps où les
onomatopées, les superlatifs et ces mots passe-partout n’avaient pas
envahi notre quotidien sous les incessants assauts du langage des cités
ou d’autres importés d’outre-Atlantique dont l’équivalent existe
pourtant chez nous.
Heureusement, la bêtise et les carences
d’instruction ne sont pas a fortiori le fait des jeunes générations,
même si ces dernières ne sont guère aidées par le système éducatif en
place. Il leur faut mettre les bouchées doubles afin d’acquérir ce que
celui-ci n’a pas su leur procurer, quitte à sacrifier de longues heures
sur les écrans pour se consacrer à la lecture, incomparablement plus
enrichissante sur le plan de l’imaginaire.
L’éducation scolaire soit, mais aussi le délitement
des valeurs familiales, de la politesse ou du respect en général et du
savoir-vivre en particulier. L’honnêteté et les règles de bienséance
héritées du bon sens (expression décriée s’il en est par les enculeurs
de mouches !) et de la tradition se trouvent reléguées au nom d’un
passéisme révolu dont les effets délétères se manifestent d’évidence
chaque jour. Même en faisant abstraction de notre religion fondatrice,
la morale laïque en a pris un coup, cette morale qui enseignait
justement le respect, mais aussi le sens du devoir et de l’honneur…
La notion même de bien et de mal s’en trouve
décriée, c’est dire ! D’où la dérive judiciaire : il suffit
de constater les peines encourues au regard de la gravité des délits
pour comprendre à quel point l’on est un dangereux délinquant,
véritable engeance de sac et de corde, dès lors qu’on dépasse
malencontreusement la vitesse autorisée…
C’est aussi au nom du progressisme, de la
bien-pensance et au motif malgré tout fondé d’améliorer certaines
stratégies politiques que s’élaborent ces doctrines d’intimidation et
de perversion. Par le biais des réseaux sociaux, un bon nombre de
jeunes de plus en plus sous-alimentés du bulbe prennent pour argent
comptant la moindre information, se prenant à vociférer et à jeter
l’opprobre sur qui a le malheur de ne pas être du même avis. Plus
actifs que d’autres par l’illumination qui les transcende, ils
représentent une minorité agissante en passe de régir un microcosme
apathique et ramolli, car dans la simplicité d’une vision manichéenne,
ceux qui ne partagent pas leurs opinions représentent les ennemis à
abattre. Ils condamnent par principe, sans aucune argumentation, allant
jusqu’à se ruer (parfois au sens propre) sur leurs adversaires.
L’esprit de rébellion qui a formé le caractère français semble s’être
singulièrement délité au profit d’une neutralité de bon aloi.
Sous couvert de lutte climatique, de défense des
minorités, c’est d’un fascisme idéologique qu’il s’agit là, avec ses
déclinaisons alliant le féminisme à l’écriture inclusive et
consorts : lesbienne, gay, bi, trans qui cohabitent sous le sigle
de LGBT… Pourtant leur indignation est à géométrie variable. À croire
que certains le font exprès ! Ce qui par nature est bien sûr
hautement improbable, car la pureté de leur âme leur confère
immanquablement un jugement sûr et exempt de tout reproche !
Un mauvais esprit (il paraît qu’il en existe)
pourrait toutefois se poser des questions devant des prises de position
tranchées sur certains faits-divers que nos médias osent à peine
évoquer, et taxer nos perpétuels indignés de subjectivité…
Semblablement à nos politicards de pacotille, on pourrait à leur
endroit calquer cette repartie d’Audiard : « Les cons, ça ose
tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît… »
Une telle intolérance ne s’était pas vue depuis des
lustres dans notre occident démocratique, exception faite des
idéologies inféodées au communisme — toutes origines
confondues — qui ont pour habitude de désigner avec raison le mal
absolu dans l’extrême droite en omettant au passage les dizaines de
millions de morts que leurs inspirateurs sino-soviétiques ont
occasionnés dans leurs propres pays. Simple étourderie de leur part,
j’en conviens. L’idéologie a ses mystères que l’idéologue ne veut point
reconnaître !
Pour parodier le jargon informatique, on formate les
esprits avant de les réinitialiser : un nouveau système d’exploitation,
en quelque sorte. Au nom de la mondialisation heureuse évoquée
précédemment, on prétend gommer les disparités des entités régionales
et plus largement des pays les regroupant, en lissant l’intellect et en
faisant comprendre de gré ou de force à chacun ce qu’il doit devenir et
comment il doit se comporter. Nos illuminés sont en marche. Ils sont de
ces moutons qui pas à pas suivent le pasteur de la bien-pensance ;
peu accoutumés à réfléchir d’eux-mêmes et par besoin d’être rassurés,
ils pensent ce qu’on leur dit qu’il est bon de penser et bêlent de
concert avec le troupeau !
Quoi qu’il en soit, le résultat est là ;
aujourd’hui, il faut s’excuser de tout : d’être blanc,
hétérosexuel, descendant de méchants colonisateurs…, s’excuser en gros
d’être à peu près normal au vu des us et coutumes du pays qui vous a vu
naître ; et un genou à terre, faire amende honorable au nom des
générations qui nous ont précédés, sans oublier de réciter un acte de
contrition en se frappant le cœur.
Dérive orwellienne s’il en est, l’éducation des
anciens ne peut que se cabrer devant ces tentatives réitérées de
pénétration et de surveillance. Certes, de tout temps, la société a
connu des soubresauts idéologiques, mais l’explosion de l’informatique
en quelques années et sa place prépondérante dans nos vies bouscule les
notions établies au détriment d’une automatisation des procédures. Le
roseau pensant cher à Pascal a laissé le champ libre au robot soumis et
dépendant d’algorithmes exogènes.
Au train où vont les choses, si Dieu me prête vie et
que je persiste dans cette voie, je risque fort de finir mes jours dans
un camp de rééducation.
© Jacques Goudeaux - octobre 2021