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« Et de la sorte, les apprenants de sexe masculin
peuvent-ils
s’adonner à un dérivatif distrayant grâce au référentiel
bondissant
aléatoire au sein de l’espace ludique à tendance
chlorophyllienne… »
Mon voisin de droite délaisse un instant
ses mots croisés, lève le nez puis me file un coup de
coude :
— Il commence à me brouiller l’écoute,
Machin. Il a fumé la moquette ou quoi ?
— Le tapis, la moquette, m’est avis que
tout y est passé !
Nous subissons pour la énième fois ce que
l’on
appelle sentencieusement « une animation
pédagogique ».
D’animation, point… Ce sera pour après, peut-être, la séance
de
questions… Il faut hélas compter avec les sempiternels
crétins qui en
remettent une couche rien que pour se faire mousser, juste
au moment de
partir !
Bien qu’en fond de salle comme il sied
aux cancres
moyens, aux réfractaires de la pédagogie artistique, on
s’observe les
uns les autres, un tantinet effarés. On nage dans le
grotesque !
D’une suffisance qui n’a d’égal que sa pédanterie, le
conférencier
continue de nous servir à la louche ces discours
pontifiants, savamment
rodés et bien sûr aussi creux qu’inutiles.
À ce propos, un brin de traduction :
« Ainsi, les garçons peuvent-ils jouer au rugby dans la
cour de
récréation… »
Pourquoi faire simple… ?
Naturellement, il est dans l’auditoire
quelques
personnes aux premiers rangs qui se passionnent pour ce
genre de
divagation. Des personnes bien sous tout rapport, toujours
prêtes à
démontrer leur insatiabilité vis-à-vis de la divine parole
et de la
méthodologie qui en découle. Des femmes, surtout.
Vraisemblablement mal
baisées, ou pas du tout : on compense comme on
peut ! Leur
tronche est un aveu. : comme jadis, ces grenouilles de
bénitier
qui buvaient le latin des saintes Écritures sans en
comprendre un
traître mot, elles sont là, béates d’admiration devant
l’énarque et
s’empressant de noircir des feuilles.
Le sermon se poursuit et Bernadous
Soubirette — c’est lors d’une précédente
« animation » qu’on l’avait baptisée ainsi —,
explose de
béatitude ! Je l’ai repérée, cette dinde, bien que de
dos et de
trois-quarts, qui se trémousse sur sa chaise, frétillant
d’impatience
et bavant d’exaltation — et je ne vous parle pas
du
reste ! Celle-là — maîtresse d’application,
excusez du peu,
d’ailleurs j’aurais dû mettre des majuscules… — je
l’avais déjà
remarquée au cours d’une séance semblable par la pertinence
de ses
interventions. Un spectacle à elle seule ! Sainte
dévote, elle
s’abreuve aux propos de l’intéressé… Du vent ! Il
faudrait la
mettre en garde, car gober de telles paroles, c’est se
préparer à une
belle crise d’aérophagie…
Pauvres de nous, elle va intervenir, elle
va se
lancer ! L’apparition de la Vierge dans la grotte
miraculeuse (pas
la sienne, celle de Lourdes) n’a pas dû susciter chez
l’autre,
l’authentique Bernadette, plus de ferveur et de
vénération ! Cette
même ferveur qui lui fait trouver les mots justes, ces mots
longuement
médités et ressassés durant de longues nuits d’introspection
où elle ne
parvient pas à trouver le sommeil… Puis elle
sourit — non
pour les autres, mais pour elle simplement —, car tout
à sa
jubilation intérieure, elle exprime l’ivresse de se savoir
écoutée. Ça
y est ! Les yeux agrandis, le regard fixe,
l’illumination
l’envahit, la pénètre et la transcende. Possédée par les
dieux de la
pédagogie ! La plénitude, l’accomplissement suprême et
enfin
l’extase, mais une extase retenue : restons entre
initiés, on a la
jouissance discrète ! C’est qu’elle possède la
connaissance et les
clefs du savoir : le décodeur, en somme ! Et pas
n’importe
quel savoir, le vrai, l’authentique, celui qui sera périmé
d’ici un an
ou deux… Elle accroche un regard, s’y cramponne et
surenchérit jusqu’à
en ressentir l’approbation. Pareille à la « Liberté
guidant le
peuple », elle tient haut la bannière du renouveau
pédagogique et
renvoie dans leurs cordes la clique des rétrogrades, ce
troupeau
d’attardés mentaux qu’elle entend s’agiter en fond de salle
et pour
lesquels elle n’éprouve que du mépris.
C’est qu’on n’est pas loin du phénomène
sectaire : il y a des gourous, des maîtres à penser
qui, forts de
leur pratique comme on l’imagine, détiennent la connaissance
et la
dispensent non sans parcimonie aux quelques élus qu’ils ont
sous leur
coupe. Bernadous Soubirette fait partie de ceux-là. Depuis
la
manifestation divine à laquelle elle a cru assister, on l’a
intronisée
(c’est pas cochon !) et c’est depuis ce jour
bienheureux qu’elle
s’ingénie à gravir le dur sentier de la consécration, le
nirvana
pédagogique, but ultime à sa minable existence !
L’Éducation nationale… En soi, déjà, le vocable est
trompeur, la connotation bien léchée : on n’est plus
dans
l’Instruction publique, notion tocarde et dépassée, mais qui
avait le
privilège de limiter le champ d’action. Du reste, comme on
l’a vu, on
ne dit plus élèves, mais apprenants !
Chacun à sa place, nom d’une pipe !
Ce n’est
pas d’éducation dont on a besoin ; par hasard, ce ne
serait pas
plutôt le rôle des parents ? En tout cas, ça devrait
l’être. Il
est vrai que par les temps qui courent, imprégné par les
médias dont
les journaleux de tout poil montent en épingle le moindre
fait-divers,
on a tôt fait quand on est parent et con — ce qui
pour
certains devient un pléonasme — de se défausser à
tout va sur
l’institution. « Tu ne sais pas faire le nœud à tes
lacets, mon
petit, tu n’auras qu’à le demander à la maîtresse, elle
t’expliquera… »
Et tout à l’avenant : on vient râler
pour un
oui pour un non, sûr de son bon droit. Et puis on est élu,
on participe
activement à la vie scolaire, voire communautaire… Encore
une fois,
chacun à sa place : est-ce que je vais les trouver à
leur boulot,
moi, pour leur expliquer comment il faut visser tel boulon
ou leur
demander s’ils ont bien déjeuné ?
Non ? Bon !
La clé de voûte du système est devenue
l’incompétence, une incompétence qui se décline à tous les
niveaux.
Orientées par un humanisme de façade, la plupart des
décisions prises
en haut lieu confinent à une totale méconnaissance du
terrain voire à
une forme d’obscurantisme. Car c’est bien là l’effet pervers
engendré
par ces Pic de la Mirandole que de discourir de tout et sur
n’importe
quoi avec des idées arrêtées, toujours fondées, on
l’imagine, sur une
expérience absolue, car ceux-là mêmes qui taxent les impies
d’ignorance, persuadés d’avoir la science infuse, se
trouvent
totalement désarmés les rares fois où ils sont mis en
situation devant
des enfants. Eh oui, curieux comme souvent les réactions des
élèves ne
rentrent pas plus dans un cadre ordinaire que dans leurs
grilles
formatées…
Ces foutriquets complexifient à loisir
des choses
simples et nous entraînent sur la voie royale de leurs faux
principes : à défaut de nous convaincre et non
satisfaits de faire
semblant de l’être, il est pour eux nécessaire de s’imposer
en nous
infligeant leurs idées.
Leurs idées… enfin, celles qu’il est de
bon ton de
défendre pour être dans une mouvance qui dans quelque temps
sera
différente, voire opposée : témoin le confit entre
méthode globale
et méthode syllabique dans l’apprentissage de la lecture…
Dieu sait ce
qu’il a fallu entendre et subir durant trente ans !
Faut-il vous l’envelopper, chère
madame ? C’est
pour consommer tout de suite ou pour emporter ? Car si
l’on est
maître dans l’art de parler pour ne rien dire, on l’est plus
encore
dans l’art de retourner sa veste. Qu’importe. En
l’occurrence, on a
bien vu l’hétéroclite cheptel des pédagogistes effectuer un
prompt
rétablissement après un virage à 180°, sans amende honorable
et avec
une morgue qui confirme l’engagement idéologique de ce genre
d’individus…
Qu’à cela ne tienne, on ne va pas
s’arrêter en si
bon chemin ! On va pondre encore et toujours de belles
directives
bien ficelées : la gent paperassière s’en réjouit, bien
entendu,
car les soi-disant élites de la pédagogie masquent leurs
propres
lacunes derrière des projets et avenants en tout genre. Tout
est sujet
aux procédures les plus tatillonnes, aux tracasseries les
plus
incongrues. Une manière de se rassurer en égarant les gens
dans des
ramifications délirantes, et bien entendu une manière
d’asseoir son
autorité. Car contrairement à ce qui se passait il y a un
demi-siècle,
uniquement imprégnés de conceptuel, les décideurs de toute
nature,
inspecteurs et consorts sont en totale déconnexion, infoutus
de
comprendre et de connaître les fondements concrets de ce sur
quoi ils
sont censés porter un jugement. De surcroît, ils seraient
bien
incapables de mettre en place ce qu’ils préconisent :
il n’y a que
la foi (pédagogique) qui sauve et on n’en est plus à une
aberration
près !
Bien que d’aucuns s’en défendent — chacun
désireux de sauvegarder son pré carré en le bardant de
barbelés —,
ce qu’ils demandent, ce qu’ils exigent, c’est l’adhésion
inconditionnelle au Bulletin officiel, aux textes de
référence… qui du
reste changent tous les quatre matins ! La bible des
médiocres qui
méconnaissent toute référence autre que le cadre
réglementaire…
La plupart viennent de mondes divers que
la
nébuleuse « enseignement » recouvre pour partie.
C’est-à-dire
qu’ils n’ont jamais été confrontés, ne serait-ce que
quelques journées,
à la réalité de l’enseignement. Quant à ceux qui ont grandi
dans le
sérail, leurs pérégrinations théoriques les ont si bien
conditionnés
qu’ils ont fini par s’oublier : des incontinents de la
pédagogie ! On a l’impression qu’on leur a fait subir
un lavage de
cerveau tant ils sont aptes à dérouler comme des machines
bien huilées
les préconisations qu’on leur a doctement inculquées en
balayant toute
objection d’un revers de manche. Sans argumenter, bien sûr.
On a si
bien su les convaincre qu’ils faisaient partie d’une élite
qu’ils l’ont
cru, ces cons-là ! Leur fatuité n’a d’équivalent que
leur
insignifiance.
Ils se croient des fonctionnaires zélés
qui ne
dévient jamais du droit chemin et qui adhèrent sans
sourciller aux
directives pondues en amont. Surtout, ne pas se poser la
moindre
question : il est demandé de suivre les consignes à la
lettre ? On les applique, sans état d’âme… Tiens, comme
leurs
lointains cousins de l’État Français au début des années 40
qui, dans
les certains cantons, mettaient eux aussi un zèle
particulier à suivre
les instructions de Vichy quand on leur demandait d’établir
le
recensement de familles juives…
La distorsion entre les conceptions qu’on
leur
inculque et la réalité est devenue telle que des effets
malsains se
manifestent de plus en plus fréquemment par un phénomène mis
en lumière
à la fin des années 90 par Marie-France Hirigoyen et baptisé
« harcèlement moral ». Il y a du
sadisme — et le
mot n’est pas trop fort — chez certains de ces petits
chefs qui,
auréolés de la toute-puissance que leur confère le système,
usent et
abusent de leurs prérogatives. Un phénomène qui, s’il a
toujours existé
dans l’enseignement, tend à se généraliser de manière
inquiétante.
Ce qu’il y a d’incongru, c’est que, de
nos jours, un
inspecteur de l’Éducation nationale soit à même de donner
une
appréciation sur un quelconque travail. Car la jungle
des
directives est telle que celui qui le désire peut toujours
trouver
prétexte à incendier ou à saquer celui ou celle qui, pour un
motif
souvent futile, ne lui revient pas. Et bien entendu, en
toute impunité,
sans avoir de justification avérée à fournir : le fait
du prince,
quoi !
Pensez donc ! À la charmante époque
où nous
vivons, tout est sujet à procédure : il suffit de
traverser de
quelques centimètres en dehors des clous pour se faire
vilipender. Du
pain bénit pour ces empêcheurs d’enseigner en rond !
Maintenant
qu’il est demandé projets, préparation, cahiers journaux et
fiches en
tout genre dont les sigles changent selon l’humeur des
responsables, on
en arrive à une aberration supplémentaire : on pourrait
imaginer
un enseignant je-m’en-foutiste ; si, si, il en existe,
même si ce
n’est pas toujours de leur faute… Bref, du moment que
celui-là fournit
toute la paperasserie précitée, même si elle ne repose que
sur du vent,
qu’il ne présente rien de concret comme des leçons copiées,
des cahiers
bien tenus, ce cher mouton de Panurge recevra des
félicitations… et
l’avancement qui va de pair. A contrario, un autre qui fera
travailler
ses élèves, leur apportera un savoir positif sous la forme
de leçons et
d’exercices construits et corrigés, mais qui se refusera à
rentrer dans
le jeu paperassier de l’administration (là encore, il en
existe et
c’est entièrement de leur faute !), on peut être sûr
qu’il va
sacrément de se faire remonter les bretelles ! Quant à
l’avancement…
Encore une des retombées de notre société
de
clinquant et de pacotille appliquée à cette pauvre
corporation… De la
sorte, le système a engendré une armée de bureaucrates, de
chefaillons
bornés et ridicules et en totale inadéquation avec le
quotidien des
enseignants. Je sais… J’entends aller bon train les
commentaires me
taxant de passéiste et de réactionnaire. Comment ? Vous
osez
parler de bon sens ? Le bon sens vous appartient ?
De quel
droit ?
Car le bon sens est la chose la plus
décriée qui
soit. Surtout pas d’immobilisme : il faut bouger,
avancer avec son
temps, être novateur envers et contre tout ! Bouger
pour bouger,
par principe. La lecture ? pfff. L’orthographe, mais à
quoi
sert-elle, alors qu’avec l’ère du numérique, les machines
sont aptes à
pallier ce genre de difficultés ? L’écriture ?
Quoi, la
cursive ? Dépassé, voyons ! Le clavier, mes amis,
voilà
l’avenir : tactile, de préférence. Et ce n’est qu’une
étape.
D’abord, la machine écrira sous la dictée puis
progressivement saura
devancer vos désirs et vos pensées les plus secrètes…
jusqu’à penser à
votre place. Alors, quel intérêt de se mettre la rate au
court-bouillon
pour des accords de participe, je vous le demande un
peu ? Que les
cahiers soient propres et corrigés ? Que les élèves
possèdent de
solides connaissances ? Solides ? Nos
intellectuels vont
s’empresser de vous prouver que c’est une notion qui ne
repose sur
rien, un non-sens. Et entre nous… à quoi ça va bien pouvoir
leur
servir pour pointer au chômage ?
J’observe que toutes les réformes qui se
succèdent
et les instructions qui en découlent partent de deux
principes
implicites simples, et il faut le croire évidents pour nos
théoriciens,
posés en postulat et à mon sens totalement erronés :
Primo, les élèves, pardon, les
apprenants, sont tous
d’une intelligence égale. On ne va pas conférer pendant des
heures sur
la subjectivité de l’intelligence, qui je le conçois, peut
revêtir des
formes très différentes et parfois pas du tout scolaires.
Néanmoins, ma
quarantaine d’années de manches retroussées devant le
fourneau ont
réussi à me convaincre d’une chose : un croûton reste
toujours un
croûton, quoi qu’on fasse et à quelque sauce qu’on veuille
l’accommoder.
Secundo, tous les élèves ont envie de
travailler
pour réussir. Macache ! De moins en moins vrai… Ancrés
eux aussi
dans une forme de toute-puissance, nos chérubins sont
tellement
sollicités par la facilité que leur procurent les écrans en
tout genre
qui meublent notre univers numérique que pour un certain
nombre le sens
de la rigueur et le goût du travail sont des notions
inconnues. Prendre
un livre ? Faire travailler son imagination ? Mais
vous n’y
songez pas, alors qu’il est si facile d’appuyer sur une
télécommande !
Les instructions établies par ces
messieurs du
ministère semblent couler de source : il n’en est rien.
D’entrée,
les dés sont pipés, car tout ce qui est issu de ces
généreuses idées
— novatrices, car il faut nécessairement qu’elles le
soient… — est bel et bien basé sur ces deux principes.
Ils sont le
fruit d’idéalistes convaincus, d’angélistes rêveurs qui
baignent dans
les satisfecit qu’ils s’auto-décernent, avec la bouche en
cul de poule
et gloussements ad hoc. L’enfant est naturellement bon,
travailleur et
discipliné. Cela posé, on construit sur du solide !
Grâce à des
raisonnements pointilleux et d’un rigorisme à toute épreuve,
on crée
des cycles d’apprentissages où le pauvre enseignant est
censé se
fractionner afin que l’apprenant féru d’apprendre
— comme il va de
soi — ait la capacité de progresser à son
rythme. Ben,
voyons ! Quid des leçons, des progressions
établies pour
qu’une majorité puisse y trouver son compte ?
Foutaise :
chacun à sa mesure… Quelle aberration ! On décortique
les
soi-disant résultats de l’élève, on les soupèse, on les
découpe en
tranches, on les met dans des grilles et on les réduit à
l’état de
produits manufacturés, comme si l’on avait besoin de normes
ISO !
Et on a la prétention d’affirmer que
certaines
notions sont acquises quand d’autres ne sont qu’en voie
d’acquisition.
Alors, on établit une remédiation ciblée. Oui, parce que
forcément,
tout ne peut pas aller si mal et le cancre absolu n’existe
pas ;
il n’est que le fruit de l’imagination — du
délire,
devrais-je dire — de quelques arriérés mentaux.
Du reste, comment voulez-vous que dans un
tel fatras
la discipline ne s’en ressente pas ? Ce qui engendre un
déni de
l’autorité, les enseignants ne possédant plus l’arsenal
nécessaire à la
réprimande.
Le redoublement, ça n’était sûrement pas
la panacée.
Ou plutôt ça ne l’était qu’avec les enfants volontaires et
par
conséquent travailleurs qui se trouvent dans une dynamique
ascendante,
bien qu’encore insuffisante au regard des exigences de fin
d’année. Un
redoublement, ça se mérite. Mais depuis quelques années,
comme on le
fait par ailleurs, les budgets se restreignant comme peau de
chagrin,
on s’est vite aperçu par extrapolation du coût exorbitant
que cela
représentait pour la société : sur des centaines de
milliers
d’élèves quelques dizaines de milliers de redoublants et ce
sont en
proportion autant de postes d’enseignants à pourvoir.
Alors, une fois de plus, nos énarques,
légitimés par
la clique des psys de toute nature, ont décrété d’une façon
péremptoire
autant que définitive qu’un redoublement ne servait à rien,
affirmation
reprise en chœur par les médias. Vous pensez que nos chers
politiques
ont sauté sur l’occasion et s’en sont fait l’écho :
bien pratique
en ces temps de récession ! De mauvaises langues
objecteront qu’il
s’agit là de politique à courte vue et que ce que la société
perd dans
un premier temps, elle pourrait accessoirement le
rentabiliser à
terme ? Peine perdue !
Ce non-redoublement systématique engendre
pour les
élèves qui auraient eu la chance de se remettre à flot la
faillite
quasi définitive de leurs espoirs. Un boulet de plus en plus
lourd à
traîner : lorsque les bases ne sont pas acquises, tôt
ou tard tout
finit par s’effondrer.
Du coup, le niveau ne cesse de
dégringoler. Tout le
monde sait que ce que j’affirme là est erroné, mais il me
plaît quand
même de le crier haut et fort, allant en cela à l’encontre
de la
plupart des études sérieuses dont certaines auraient même
tendance à
prouver le contraire ! Le temps de présence en classe
n’a cessé de
diminuer depuis les années soixante et les disciplines
fondamentales
ont été rognées au profit d’activités subalternes ; en
outre, une
bonne partie de ce temps-là est diluée dans des problèmes
d’autorité et
d’obéissance aux règles de vie. Au bout trente années
passées au même
niveau, j’ai été contraint de réduire de moitié le contenu
des matières
que j’enseignais : malgré ça, un nombre croissant
d’élèves ne
suivaient pas !
La réalité, c’est que nos gouvernants
successifs ont
engendré un holocauste intellectuel qui, à terme, ne peut
que peser sur
les performances du pays. Des intellectuels de pacotille se
sont
penchés et se penchent encore sur notre école moribonde,
rejetant toute
connaissance avérée et la reléguant aux oubliettes sous
prétexte de
ringardise et d’inutilité.
Il est vrai que je ne suis qu’un
écervelé !
J’avais oublié que depuis quelques années, nous avons
affaire à des
génies en herbe : témoin l’opération « la
main à la
pâte » initiée par Georges Charpak, prix Nobel de
physique. Encore
une hérésie du système français qui se glorifie de ses
élites,
furent-elles prodigieuses en certains domaines. Comme si,
par une sorte
d’osmose, un physicien des particules devait nécessairement
être fin
pédagogue ! Et voilà que happé par le tourbillon
franchouillard
qui auréole nos célébrités, voilà qu’on nous ressert à peine
réchauffée, la démarche des activités dites d’éveil, où nos
chers
apprenants avec un sens inné du raisonnement et de la
déduction, vont
en quelques minutes, réécrire l’histoire des plus grandes
inventions de
l’humanité et bien sûr sans aucune connaissance
préalable !
C’est qu’on n’a peur de rien et surtout pas du
ridicule !
Réfléchissons deux minutes… L’invention
de la roue
et du chariot est datée d’environ 3000 ans av. J.-C.
S’est-on seulement
posé cette question : combien de centaines de
générations d’homo
sapiens ont-elles été nécessaires à travers l’Antiquité pour
qu’un jour
quelque architecte, un savant ou simplement un homme du
peuple ait eu
l’intuition de la considérable économie d’efforts que l’on
pouvait
réaliser ne fût-ce qu’à l’aide de rondins pour transporter
un bloc de
pierre ? Des civilisations entières se sont succédé
sans qu’un
seul homme ait eu l’idée de cette pratique qui paraît à nos
yeux
l’évidence même. Nos ancêtres étaient-ils à ce point
idiots ? Homo
sapiens cretinus ? Imaginez les millions de blocs de
pierre
transportés pour l’édification des pyramides d’Égypte, les
mégalithes
de Stonehenge amenés sur des centaines de kilomètres… Si le
principe du
chariot avait existé, quel gain de temps et d’énergie !
Bref. Ces
chers rejetons, Sherlock Holmes en puissance, par une
logique
implacable et grâce à l’émulation et au travail de groupe,
vont donc
reconstituer la démarche et le raisonnement empruntés jadis
par les
plus grands savants. Quelle naïveté que de croire une chose
pareille et
surtout quelle fatuité que de le laisser croire !
Idem pour ce qu’on appelait il y a encore
peu
« travail manuel » et qu’on a rebaptisé de ce
sublime vocable
« arts plastiques ou visuels », ce qui sous-entend
que non
contents d’être des petits génies, nos loupiots sont aussi
des
artistes. Et dire que certains s’inquiètent pour l’avenir de
notre
pays !
Comme on le voit, on est perpétuellement
dans la
démesure ; ce qui est plus grave, c’est que le mensonge
est depuis
tant d’années si présent à travers l’institution qu’on finit
par
l’accepter comme inexorable.
Par définition, nos penseurs estiment
donc que tout
est inné chez l’enfant : la connaissance, le
raisonnement, l’art…
C’est le sens profond des prérogatives ministérielles moult
fois
remodelées, mais toujours posées sur des bases
incontournables. On se
demanderait presque à quoi servent les enseignants, sinon
peut-être à
rediriger quelques jeunes pousses qui auraient une
propension à pousser
de manière anarchique.
Qu’une partie des élèves en fin de
scolarité n’ait
jamais entendu parler de Louis XIV ou de Napoléon, ce n’est
pas si
grave… Qu’ils ne sachent pas non plus que le XXe siècle ait
été
traversé par les deux les Guerres mondiales, peu
importe : ils
apprennent l’histoire de l’art, laquelle s’appuie sur des
notions
infiniment plus complexes. Comment expliquer l’évolution de
la peinture
à la Renaissance si des jalons n’ont pas été posés et acquis
en
amont ? Comme pour le reste, rien ne change : on
bâtit sur du
sable…
Pour boucler la boucle et en revenir à
nos chers
énarques, je ne peux résister à la tentation de citer le
regretté Jean
Amadou — chansonnier par excellence s’il en fut
onc — qui dans une chronique à Europe 1 au début
de ce siècle
proposait au ministre de l’Éducation de regrouper tous les
énarques
sous son autorité dans un navire, puis de couler ledit
navire au beau
milieu de l’Atlantique.
—
Mais quelle horreur ! il s’agirait d’un crime !
— Pas du
tout. Ce serait une éradication de vertébrés bipèdes à
tendance
schizophrénique par immersion prolongée dans un liquide à
haute teneur
en sodium…
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