Maître
Arnaud le tailleur, dans la force de l’âge,
Décidant un beau jour de se mettre en ménage,
Craignit de ne trouver de chaussure à son pied, Aussi
pour conseilleur, il prit un cordonnier.
Dans
un taudis reculé, tissant la dentelle, Au
ciel se tourmentait une humble jouvencelle : “ Mon
Dieu, pardonnez-moi, mais depuis avant-hier, J’ai
le coeur en émoi au moindre courant d’air ;
Car
avec le printemps et la belle saison, Je
sens monter la sève, éclore mes bourgeons, J’ai
beau me torturer, penser à mon ouvrage, J’ai
comme des fourmis au creux de mon corsage.”
Vous
allez voir comment, comment sans contredit, Pour
une fois le ciel, un beau jour l’entendit,
Comment il assouvit ses ardeurs de pucelle Un
matin qu’elle allait prier à la chapelle.
C’est
ainsi que passant pour un ressemelage Par
une boutique, elle vit dans les parages Un
bellâtre poudré mais d’un fort beau maintien Et
qui la détaillait de l’oeil du praticien.
Sans
ambages, il lui dit en se rapprochant d’elle : “
J’ai tant de beaux écus dedans mon escarcelle, Que
si tu le voulais, mignonne, tu pourrais Venir
tâter ma bourse et voir si je dis vrai ! ”
Comme
elle pensait bien qu’il y mettrait le prix,
Prenant un air outré :”Je n’ai que du mépris Pour
tous vos boniments à tel point que j’enrage Et
sur-le-champ vous prie de réparer l'outrage.”
Toisant le beau parleur la mine dépitée, Lors
tout émoustillante elle se plut d’ajouter : “
Donne-m’en trois fois plus, promis, je t’ensorcelle Et de
ton art j’apprendrai toutes les ficelles !
Mordieu, voilà propos bien sentis : je t’engage Et
sur la bonne foi, je te double tes gages : Viens
donc sans plus tarder, au fond de mon dodo,
Avecques moi jouer à la bête à deux dos ! ”
Ce
qui fut dit fut fait et notre jeune oiselle
Bientôt ne fut plus tout ...tout à fait demoiselle : Comme
en soi l’innocence est soeur de la vertu, La
morale était sauve et le marché conclu !