[…]
C’est
à présent que la partie se jouait. Dans le bureau du
commissariat
mis à sa disposition, l’inspecteur énonçait lentement
l’intitulé du
rapport à un collaborateur assis devant la machine à écrire.
À voir le
peu d’entrain que ce dernier mettait à l’ouvrage en tapant
fastidieusement sur les touches, on pouvait être certain
qu’il n’était
guère habitué à ce rôle de secrétaire. Il s’agissait
pourtant d’un
scénario préparé pour mettre Legay en confiance.
— Prenez un siège, je vous en prie. Donc,
si je
reprends mes notes, vous m’avez déclaré qu’avant-hier, vous
étiez
invité chez votre patron qui désirait vous consulter sur des
prises de
décisions à venir. C’est bien ça ?
— Tout à fait.
— Ce qui nous a d’ailleurs été confirmé
par
lui-même. Et vous l’avez quitté entre minuit et une heure du
matin.
— Comme je vous l’ai expliqué, je n’ai
pas pris garde à l’heure exacte.
Le tapotement hésitant du clavier
couvrait la voix de Perrichon.
— Donc, le soir du meurtre, reprit une
voix derrière
lui, Madame vous a concocté une omelette aux cèpes.
Veinard !
Celui-là, il ne l’avait pas entendu
venir. Il se
retourna d’un bloc pour découvrir un jeune homme de belle
prestance qui
le contemplait d’un air goguenard et les bras croisés.
— Vous êtes qui, vous ? Nous n’avons
pas été présentés.
— En effet. Inspecteur Lestrade. Un
collègue de Monsieur. Pour vous servir…
Perrichon reprit l’initiative tandis que
l’autre
restait en retrait, ce qui mettait visiblement le témoin mal
à l’aise.
— Bon, vous m’avez affirmé être rentré
directement à
votre domicile. Et là, vous n’avez pas non plus prêté
attention à
l’horaire affiché sur votre réveil, au moment où vous vous
êtes
couché ?
— Je me couche souvent très tard et je
dors peu. Mon réveil sonne tous les matins à six heures et
demie.
— La rue de Richemond, ça ne vous évoque
rien ? reprit la voix derrière lui.
— Pas le moins du monde.
— Parce que c’est là que les secours
l’ont ramassé. Il avait reçu un coup de couteau au niveau du
thorax.
Le contraste subit entre ses attentes et
la réalité
désarçonnait l’intéressé, l’affabilité du premier
interlocuteur n’ayant
pour but que de l’attirer dans ce qu’il considérait
maintenant comme un
guet-apens. Comme il avait été naïf ! Bien sûr, Dizieux
avait
vendu la mèche et l’accusait formellement… Pas d’autre
explication. Bon
sang ! Comment avait-il pu être aussi maladroit ?
Qui plus
est, l’attitude de Perrichon avait changé. Il jugea en un
coup d’œil
que la connivence n’était plus de mise.
Le flegme, apparemment, n’était pas un
point fort de
Legay et la colère empourpra son visage. Et toujours le
tapotement sec
de la machine qui de toute évidence lui portait sur les
nerfs.
— Écoutez, j’en ai assez entendu !
J’ai bien
voulu suivre l’inspecteur parce qu’il m’a dit que j’en
aurais pour cinq
minutes. Je ne suis pas venu ici pour subir un
interrogatoire… Et de
quel droit, je vous prie ? Je désire contacter mon
avocat et vous
ne pouvez pas m’en empêcher.