Fugue en Ré.

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extrait 3


    À l’opposé des hommes qu’elle avait jusqu’alors côtoyés ou aimés et qui, pour la plupart, évoluaient dans sa sphère intellectuelle et sociale, il émanait de lui une force paisible qui la rassurait. Ce n’est que dans la matinée qu’elle s’était rendu compte du rôle qu’il avait joué dans sa libération. N’avait-il pas, lui aussi, risqué sa vie devant un homme armé ? Pour elle, et pour la sauver des griffes de ces inconnus… L’image du lieutenant ne la lâchait pas. Au contraire. Elle s’y raccrochait, comme on peut se raccrocher dans les pires moments au besoin de se reposer sur quelqu’un, en une quête éperdue d’insouciance et de paix.
    Mais au-delà, outre le désir fort compréhensible d’orienter ses pensées vers un sujet moins grave, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver envers lui, et à travers cette modestie dont il avait fait preuve, une profonde admiration. Un sentiment poignait qu’elle ne parvenait pas à refouler, où se mêlaient l’envie d’être protégée et dorlotée, mais d’où naissaient aussi une frustration équivoque et quelque chose d’indéfinissable et que, justement, elle se refusait à définir…
    Et voilà qu’à cette évocation, elle se ressaisit, et comme par enchantement, se retrouva debout. Tout à coup, son reflet lui apparut moins déplaisant. Elle enjamba le rebord de la baignoire et laissa couler l’eau de la douche jusqu’à ce qu’elle devînt presque brûlante. Après s’être abondamment savonnée, elle s’abandonna sous le jet continu. Elle s’y attarda longtemps, regardant l’eau dégouliner en cascade à ses pieds et s’échapper par la bonde, cette eau qui entraînait avec elle les salissures et les douleurs que son corps avait subies…
    Faire peau neuve, gommer ses meurtrissures… Elle apporta un soin particulier à son maquillage, puis au choix de ses habits. Cela lui prit beaucoup de temps et lui fit beaucoup de bien. Sa force de caractère lui permit en partie de s’abstraire des pensées nauséeuses qui l’étreignaient encore. Malgré tout, le malaise persistait, se traduisant de temps à autre par un vague hoquet. La souffrance était trop vive, trop récente la blessure… Néanmoins, avec une énergie dont elle ne se serait jamais crue capable, elle retrouvait l’envie de vivre, d’expurger ce mal qui affluait insidieusement.

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