Fugue en Ré.

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extrait 1


     D’abord, elle n’aperçut qu’une masse sombre, difficile à identifier ; un tronc noirâtre comme en charrie souvent la marée. Ce n’est que parvenue à une vingtaine de mètres qu’elle fut prise d’un doute.
    Son cœur soudain se mit à battre la chamade. Se pouvait-il ? Puis sa conviction se mua en certitude : un cadavre ! Il s’agissait d’un cadavre.
    Mon Dieu ! La plage était déserte. Nulle présence dans les environs… Une sourde appréhension la saisit : un homme, que la mer avait rejeté comme une épave ! Aurait-elle le courage de s’avancer ? Elle s’efforça néanmoins à le faire. Sans le quitter du regard, les mains jointes devant la bouche, en une muette prière incapable de conjurer le sort… et l’horreur lui apparut dans sa plénitude. Elle ferma les yeux ; le criaillement des mouettes, la rumeur de la houle… Elle les rouvrit : hélas, rien n’avait changé.
    Pantin désarticulé par le ressac, l’homme était allongé, la tête à demi enfouie sous le sable, dans une position grotesque : une jambe retournée, un genou à l’équerre. N’eût été le pathétique de la situation, les quelques algues déposées sur son corps et notamment dans ses cheveux lui donnaient un aspect carnavalesque. Peu aguerrie à fréquenter la mort, ce cadavre qu’elle avait à ses pieds, charrié par l’océan, lui inspirait un sentiment confus de peur, mais aussi, à son corps défendant, de curiosité morbide. Parallèlement, une série de questionnements incongrus se pressaient et la laissaient spectatrice de ses propres réactions. Vraisemblable effet de sa nuit agitée, il lui paraissait nécessaire de prendre un peu de recul par rapport à l’événement lui-même et à ses conséquences éventuelles.
    Couché sur le ventre, l’autre jambe repliée en chien de fusil, l’individu, de type européen, paraissait jeune encore : la trentaine tout au plus. Habillé de sombre, revêtu d’un pull épais à col roulé, rien dans son accoutrement ne révélait quoi que ce fût de ses origines ou de sa fonction, si ce n’est peut-être un sac à dos étanche comme en possèdent les marins, étroitement sanglé, qui par miracle avait résisté au brassage incessant de la houle.

  

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