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Ainsi se passe l’existence dans la vallée des Ancêtres, une existence
au rythme des saisons, de temps à autre agrémentée de rencontres
nouvelles : trois fois l’an, les communautés disséminées çà et là
sur les versants se rassemblent. Leurs chefs organisent alors des
festivités en hommage aux divinités, festivités qui donnent lieu à des
joutes et qui, pour les garçons, sont souvent des défis physiques
servant de faire-valoir devant les jeunes filles. Une autre fête a lieu
à l’époque des moissons, mais celle-ci ne permet guère les grands
rassemblements, les habitants se trouvant disséminés par monts et par
vaux.
Pourtant, au-delà des chefs de tribus, il est d’autres
personnes unanimement honorées et devant lesquelles sans exception
— fort ou faible, riche ou pauvre —tout le monde s’incline,
des êtres en retrait de la société, mais dont on parle avec crainte et
révérence : ce sont les « Maîtres du Temps ». Sur eux courent
toutes sortes d’histoires étonnantes : on dit qu’ils ont pactisé
avec les Dieux, là-bas, sur ce curieux sommet toujours couvert de sa
coiffe blanche où va s’endormir le soleil, et la légende rapporte que
même les loups, dont en hiver on entend les hurlements si proches, ont
peur de leur puissance.
Les prêtres vivent reclus et forment un ordre aux
règles singulières auquel il est impossible d’appartenir autrement
qu’en devenant l’un d’eux. Le parcours initiatique est long et semé
d’embûches ; seuls, de rares élus choisis parmi des garçons,
pourront prétendre à cette fonction.
Ils savent les secrets des plantes qui guérissent et
fréquemment on vient chercher auprès d’eux assistance et protection
pour soulager les maux les plus divers ou soigner les blessures. Aucun
des rites qui accompagnent un défunt au commencement de son voyage vers
les Prairies d’Abondance ne peut être accompli sans leur présence.
Capables en outre d’interpréter les augures en déchiffrant les signes
du ciel, ils sont instruits à mesurer le temps qui passe en observant
la course des astres. Voilà sans doute où l’on a puisé l’origine de
leur dénomination la plus courante.
Pourtant, dans la vallée, certains les ont baptisés « les Maîtres de Lumière »…