L'orphelin de jamais.
Seconde partie : L'enfance retrouvée

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Extrait 24

[…] La nuit était douce, une nuit sans lune, étonnamment noire et parsemée d’étoiles ; à la verticale, la voie lactée se distinguait, large et floue, plus claire en son centre. Progressivement, ses yeux s’accoutumant aux ténèbres, il percevait mieux le contour des arbres et la masse confuse des bâtiments.
    Pierre aimait la nuit. Il l’aimait pour ses ombres inquiétantes, pour le long frisson des feuillages, pour ses présences invisibles, le frôlement furtif des êtres en maraude, les prédateurs à l’affût, ses bruits étranges et ses parfums subtils après que l’aiguail en a relevé la quintessence. Il l’aimait aussi pour ces mystères qui habillent l’imagination, résurgence de peurs anciennes où, bien sûr, tout à la fois rejaillissent et se côtoient innocence et simplicité. Par essence ineffable et fonction de sa propre expérience, depuis ce lointain souvenir de sa terreur au cimetière, non seulement il avait appris à dompter ses vieux démons, mais encore à les apprivoiser. La nuit lui appartenait : à sa manière, il se l’était appropriée jusqu’à pleinement savourer ces précieux moments de communion avec la nature. Lors de balades qu’il accomplissait seul, été comme hiver et par tous les temps, à dessein privé de lampe, il essayait d’identifier tel animal à sa quête ou à sa fuite et n’eût autrement été surpris de rencontrer au hasard d’un sentier, quelque bon génie des bois et des champs, quelque oréade ou farfadet, venus le saluer…
    Il était heureux. N’avait-il pas réalisé des prouesses et achevé son destin ? Comme il aurait voulu savourer ces instants si fugaces qui déjà lui échappaient ! Il lui aurait fallu un peu de recul et de tranquillité pour disséquer ce bonheur et le prendre en compte à sa juste mesure. Au lieu de ça, son tempérament insatiable le poussait à un perpétuel déséquilibre et l’obligeait à aller de l’avant pour retrouver une assise et ne point basculer. Serait-il capable de s’abstraire d’un processus qui, tant de fois, lui avait permis de se distinguer ? Pareil à ce brin d’herbe qui oscillait sous la brise, son existence avait été une suite d’inflexions diverses ; pourtant, s’il bougeait sans cesse, il demeurait ancré sur ses racines et revenait à son point de départ. Bénits soient ceux qui ont la chance d’être nés quelque part ! Pourquoi devrait-on les taxer de chauvins ou d’imbéciles heureux ? Par leur connaissance intuitive des êtres et de leur environnement, n’ont-ils pas en eux une richesse, une profondeur que d’aucuns seraient en droit de leur envier ?
    Son regard quitta le sol pour interroger l’horizon, là-bas, en direction du nord. Là-bas…
[…]

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