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Ce soir-là, fermé dans sa chambre, il s’assit devant une feuille
blanche et attendit : rien ne se passa. Il attendit encore :
toujours rien. Pas la moindre intuition, pas le plus petit fil
conducteur ; rien, le vide, le néant. Il pencha la tête et ferma
un œil : la feuille restait vide, désespérément blanche.
Blanche ? Jaune, plutôt, avec des lignes qui ondulaient, qui se
mêlaient mais demeuraient muettes. Le peu qu’il entrevoyait se bornait
en une mièvrerie aux confins de la niaiserie. En désespoir de cause, il
chercha l’inspiration en feuilletant ses livres. Il s’échappa de La
Fontaine, dépassa Ronsard, s’appesantit sur le père Hugo pour enfin
s’arrêter sur un poème au charme étrange et envoûtant, aquarelle aux
contours indécis dans des teintes pastel :
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens…
Tant pis. Il devait se lancer. Après, on verrait. Il
finit par coucher une première ébauche. Il la relut, la biffa puis la
reprit. Petit à petit, il l’étoffa. Au soleil de ton cœur… J’irai
chauffer mon âme… Non, où réchauffer mon âme ? Un instant
désemparé, il parcourut quelques pages et survolant la jungle des mots
tomba en arrêt sur l’un d’eux : parvis. La forme, à présent, se
précisait, le style prenait corps : Sur le parvis du cœur où je
t’ai vue si belle… Parvis, cathédrale ? Où allait-il ? Quelle
rime ? Vite, épluchant sa mémoire et fort de ses réminiscences, il
nota plusieurs termes et se détermina pour rebelle. Une ardeur
singulière s’emparait de lui, un frémissement soutenu poignait en son
être, une énergie qu’il fallait à tout prix maîtriser, jusqu’à la
refréner par crainte de dispersion. Ses doigts se déliaient en
alternance au rythme des syllabes et frappaient le bord de la table.
S’il ne possédait de la prosodie que de vagues notions, il avait
assimilé tant de textes, tant de fois les avait répétés qu’il
anticipait la musicalité des combinaisons qui s’offraient à lui. Les
directions s’infléchissaient devant sa volonté. Où je t’ai vue si
belle… L’impulsion était donnée : rebelle… ma fierté
rebelle ? Blonde… Sa blondeur ? Non, ça ne collait pas. Plus
tard. Tout à coup, emportés en une sorte d’exaltation spirituelle, les
mots s’associèrent comme par enchantement :
Sur le parvis de cœur où je t’ai vue si belle,
J’irai briser mon âme en sa fierté rebelle.
Des pas dans l’escalier. Les parents allaient se
mettre au lit. Il jeta un œil à sa montre et fut surpris par l’heure
tardive. Éteindre, vite ! Vidé, exténué, jamais il n’aurait
supposé une telle intensité de sa réflexion. Le contact avec la
fraîcheur des draps lui procura une sensation de bien-être. Plus que la
satisfaction, plus que cette joie qui le pénétrait, il se sentait repu
de l’accomplissement même partiel de ses ambitions. Il se lova et
blottit ses pieds contre la bouillotte. Pour autant, le sommeil fut
long à venir. Des images tournaient, éphémères, des expressions
voltigeaient et se bousculaient, qu’il aurait voulu saisir au passage
et figer dans sa mémoire pour les accaparer irrévocablement. Puis il
s’enfonça dans une léthargie douillette où s’incrustaient des visages
et où se fondaient des voix. Des voix… On frappait doucement. […]