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Extrait 6
[…]
Une rumeur enflait. D’abord incertaine, elle dévia puis revint à la
charge en un nouvel essor, cette fois plus distincte : les chiens
suivaient la piste. Aux abois qui se rapprochaient de l’autre côté du
vallon, se mêlèrent bientôt des appels excités : « À toi, à
toi… » soudainement ponctués d’une double détonation, plus proche
qu’on ne l’aurait crue.
Sophie s’était figée. Elle eut un regard affolé dans sa direction.
— Qu’est-ce que t’as ? Ce sont juste des chasseurs et…
Réfugiée contre lui, tout agitée de tremblements,
elle avait l’air méconnaissable. À l’anxiété qui se lisait sur son
visage, il comprit que son attitude n’avait rien de surfait.
Décomposée, elle s’accrochait, se blottissait, cherchait à se protéger,
les mains crispées en une étreinte apeurée dont il éprouvait la morsure
à travers le tissu.
— Mais tu ne risques rien, voyons…
— Je t’en prie, allons-nous-en !
Ils s’étaient éloignés par une voie différente, qui
rejoignait en amont le vallon de Chantegrive et faisant un large détour
afin d’éviter les chasseurs. Elle avait recouvré sa lucidité. Il
l’avait prise par l’épaule, et portant le panier de l’autre main, la
réconfortait de son mieux. Néanmoins, le contournement s’avérait plus
ardu qu’il n’y paraissait : les vaches, les clôtures, les ronces,
les hypothétiques serpents, tout était obstacle à la demoiselle.
Pierre, qui craignait de l’effaroucher plus encore, attendit de trouver
un accès moins périlleux. Enfin, ils débouchèrent dans une prairie. Se
déportant de la sorte, ils avaient sensiblement rallongé le
trajet ; aussi décidèrent-ils de se reposer avant la montée. Le
menu flot qui courait là s’harmonisait avec le calme de
l’endroit ; il leur faudrait le traverser et l’ombre, sur l’autre
bord, les incitait à le faire sans délai. Le franchissement, sur une
largeur de plus d’un mètre, nécessitait une prise d’élan. Si le garçon
ne rencontra la moindre difficulté, ce ne fut point le cas de
Sophie ; après un grand nombre d’hésitations et malgré des
encouragements réitérés, elle dérapa sur son pied d’appel et effectua
une mauvaise réception sur la berge opposée : une botte aux cinq
cents diables, un pied dans la rigole, la pauvrette n’eut pas un cri de
surprise, pas une seule plainte comme si d’avance elle se résignait à
son infortune, ce qui ne manqua pas après coup d’intriguer son
compagnon. Pour lors, il lui tendit une main secourable qu’elle accepta
d’une grimace fataliste après quoi, il enjamba d’un saut le perfide
Achéron de façon à récupérer la botte.
Un souffle frais froissait les peupliers dont, par
intermittence, les feuilles se détachaient en averses dorées. Il
s’était assis auprès d’elle et d’une voix rassurante, ne cessait de la
divertir […]
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