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Il lui fallait une bonne vingtaine de minutes pour parcourir les
presque deux kilomètres qui séparaient la ferme familiale du village.
Là encore, les habitudes étaient rompues : maintenant que son
voisin et ami de toujours était parti en apprentissage, il se
retrouvait seul sur le chemin de l’école. Du coup, celui-ci semblait
considérablement rallongé. Allait-il désormais se résoudre à prendre la
bicyclette ? Bien sûr, il pourrait traîner un peu au lit, mais
revers de la médaille, son temps de flânerie à la sortie en serait
limité.
À mesure qu’il approchait, le matin bruissait des
activités coutumières et la rumeur enflait au hasard d’un passage de
voiture ou du son mat d’un marteau de charpentier. Des grappes
d’enfants se formaient aux carrefours, garçons et filles bien
différenciés, avant de converger d’un pas volontiers nonchalant pour
les uns vers le bourg où d’autres les attendaient. Il ne s’agissait pas
de franches retrouvailles : la plupart d’entre eux s’étaient
côtoyés tout au long des vacances. Mais à présent, le contexte était
différent. À la liberté succédait la double contrainte des horaires et
des devoirs à l’étude du soir, sans compter, une fois rentrés, les
corvées et travaux domestiques pour clôturer la journée : délicat
passage entre deux types d’existences opposées encore que proches dans
leur organisation. De la sorte, tous semblaient se retrouver comme
après une longue absence.
— Eh ! Pierrot, attends-moi !
Le cartable sur le dos, mais le lance-pierres en
poche, Jean-Marie était l’un des rares à s’être octroyé des vacances
exotiques en partant au bord de la mer chez un lointain cousin de
Normandie. Châtain clair, la mèche en bataille, gavroche frondeur et
rigolard, petit, mais trapu et d’une étonnante robustesse, il n’avait
pas son pareil pour grimper aux arbres et aller faire des misères à
d’innocents petits oiseaux. De façon plus générale, il aimait braver
les interdits par simple gageure et par conséquent s’accommodait fort
mal des servitudes inhérentes au travail scolaire. Bricoleur,
ingénieux, habile, d’un tempérament bien trempé, il était pour Pierre
un compagnon idéal, d’une loyauté sans failles et toujours prêt pour
l’aventure bien que parfois frisant l’excès. Différents de caractère et
donc complémentaires, les deux enfants s’étaient éprouvés mutuellement,
usant leurs fonds de culotte sur les bancs de la communale aussi bien
que sur le mur du cimetière. Riche de son entraînement de petit gars
des champs, Jean-Marie avait acquis au fil des ans une expérience sûre
issue de ses observations et comme une prescience de la nature qui lui
faisait savoir où devait nicher tel merle, sur quelle bordure on
trouvait des cèpes ou quel endroit encore serait le plus propice à la
construction d’une cabane, à l’insu de tous. S’il n’envisageait pas
cette nouvelle rentrée de gaieté de cœur, du moins se réconfortait-il à
l’idée de retrouver ses camarades ainsi qu’à la perspective des bons
coups qu’ils feraient ensemble. […]