L'orphelin de jamais.
Première partie : Les plaies de l'aurore
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Extrait 1

[…] Il lui fallait une bonne vingtaine de minutes pour parcourir les presque deux kilomètres qui séparaient la ferme familiale du village. Là encore, les habitudes étaient rompues : maintenant que son voisin et ami de toujours était parti en apprentissage, il se retrouvait seul sur le chemin de l’école. Du coup, celui-ci semblait considérablement rallongé. Allait-il désormais se résoudre à prendre la bicyclette ? Bien sûr, il pourrait traîner un peu au lit, mais revers de la médaille, son temps de flânerie à la sortie en serait limité.
    À mesure qu’il approchait, le matin bruissait des activités coutumières et la rumeur enflait au hasard d’un passage de voiture ou du son mat d’un marteau de charpentier. Des grappes d’enfants se formaient aux carrefours, garçons et filles bien différenciés, avant de converger d’un pas volontiers nonchalant pour les uns vers le bourg où d’autres les attendaient. Il ne s’agissait pas de franches retrouvailles : la plupart d’entre eux s’étaient côtoyés tout au long des vacances. Mais à présent, le contexte était différent. À la liberté succédait la double contrainte des horaires et des devoirs à l’étude du soir, sans compter, une fois rentrés, les corvées et travaux domestiques pour clôturer la journée : délicat passage entre deux types d’existences opposées encore que proches dans leur organisation. De la sorte, tous semblaient se retrouver comme après une longue absence.
    — Eh ! Pierrot, attends-moi !
    Le cartable sur le dos, mais le lance-pierres en poche, Jean-Marie était l’un des rares à s’être octroyé des vacances exotiques en partant au bord de la mer chez un lointain cousin de Normandie. Châtain clair, la mèche en bataille, gavroche frondeur et rigolard, petit, mais trapu et d’une étonnante robustesse, il n’avait pas son pareil pour grimper aux arbres et aller faire des misères à d’innocents petits oiseaux. De façon plus générale, il aimait braver les interdits par simple gageure et par conséquent s’accommodait fort mal des servitudes inhérentes au travail scolaire. Bricoleur, ingénieux, habile, d’un tempérament bien trempé, il était pour Pierre un compagnon idéal, d’une loyauté sans failles et toujours prêt pour l’aventure bien que parfois frisant l’excès. Différents de caractère et donc complémentaires, les deux enfants s’étaient éprouvés mutuellement, usant leurs fonds de culotte sur les bancs de la communale aussi bien que sur le mur du cimetière. Riche de son entraînement de petit gars des champs, Jean-Marie avait acquis au fil des ans une expérience sûre issue de ses observations et comme une prescience de la nature qui lui faisait savoir où devait nicher tel merle, sur quelle bordure on trouvait des cèpes ou quel endroit encore serait le plus propice à la construction d’une cabane, à l’insu de tous. S’il n’envisageait pas cette nouvelle rentrée de gaieté de cœur, du moins se réconfortait-il à l’idée de retrouver ses camarades ainsi qu’à la perspective des bons coups qu’ils feraient ensemble. […]

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