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LE DIT DE MON FIGUIER.




 
Le règne végétal s’est définitivement installé autour de moi, prêt à m’accueillir dans son temple d’émeraude ; il semble même que de multiples bras s’animent et tentent de m’approcher, de m’agripper – à quelle fin inavouable –, pour s’emparer de moi, pauvre jardinier du temps qui passe au sommet des arbres.
Adossé au tronc, grevé de gallinules, du grand figuier qui se referme entre les chantepleures taries, j’aperçois la fenêtre de ma chambre aux vitres d’ombre, entre chèvrefeuille et rose trémière, mais si je tourne légèrement la tête de gauche à droite, mon regard est arrêté par la barrière de feuillage au-delà de laquelle on ne devine ni demeure, ni remise, et le ciel lui-même m’échappe, si ce n’est par de maigres trouées où glissent les nuages, les bateaux blancs du rêve.
Les branches de mon figuier cachent aussi la façade ouest de la Dive et ses ardoises dressées vers les cimes, avec à ma droite, le pêcher et plus près de moi, le massif gorgé de cassis, de groseilles et de fraises des bois que la vigne surplombe, accrochée aux gélivures des pierres du mur, alors que sauge, verveine, estragon, menthe et bergamote s’égarent au milieu des tomates, de la roquette et de l’oseille qui fleure bon l’omelette du soir.
Les quatre tilleuls centenaires déploient leurs ailes protectrices sur les bonzaïs de Jef : ginkgo biloba, romarin, pommier, cèdre et chêne, entre lesquels s’insinue la ponctuation colorée d’impatiens de Guinée, de cosmos et d’altéas.
Il y a un cinquième tilleul, plus grand, plus beau, masqué par l’angle de la villa. Près de lui, voyez ce vieux poirier qui ne porte plus que sa peine, au milieu de la bande fleurie de valériane et d’onagres bordant l’allée ; plus loin, c’est l’immense noisetière de la propriété voisine, la laurière en délire, le cerisier poussé à la sauvageon dans la haie, juste avant lierre et sureau.
Les « rapiètes » animent le bac de granit, avec toute sa gamme de plantes grasses d’où s’échappent fuchsias et citrouilles ; la clématite rose pâle tisse un voile transparent entre les piquets au-dessus d’un parterre richissime où Jean-Baptiste de la Quintinie pourrait nommer tour à tour giroflées et ancolies, jonquilles et narcisses, déjà disparus, bâtons de Jacob, iris, pieds d’alouette, œillets d’Inde, azalées, bluets, lys et jasmins qui attendront l’été, près du poivrier du Sichuan, des soucis, mais aussi la monnaie d’argent que le pape nous octroie en riant, les pavots sans paradis, les onagres défroissés, en chuchotant, par la fraîcheur du soir.
Les asters et la marguerite jaune se plairont encore en automne, alors que de mai à Noël, les roses plus belles les unes que les autres n’éteindront leur palette qu’au surgissement mordoré de l’ellébore toujours prompte à guérir les hommes de leur folie.
Au-delà des brassées de fleurs, l’albizia qui lutte avec le grand tilleul étend son envergure ourlée de sang vers le tulipier d’Elsa qui se prépare peut-être à une seconde floraison, le cerisier déparé dispensera ses grosses perles noires qui taquinent l’enfance ; chèvrefeuille et rosier grimpant, seringas entêtants et forsythias, la glycine bleue et blanche, limitent à la fois mon regard et le jardin, même si je puis encore deviner à main droite, le buis de Jeannette, les pruniers de Marie, au-delà des genêts, et derrière le mur triste de l’ancienne propriété, d’autres arbres, d’autres vies, d’autres...
Mais il est loin le temps des pivoines de l’allée aux poires Duchesse, avec tout au fond, derrière les lourds vantaux du portail, la rivière de la rue
!






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